Propos recueillis par Enna / Tambacounda.info /
Au fil de ses pérégrinations dans la diaspora tambacoundoise, tambacounda.info ambitionne de présenter à travers des interviews le profil d’expatriés dont le cœur et l’esprit restent fortement attachés à leur région natale. Nous avons posé nos questions à M. Moustapha Camara, Docteur en Droit privé de l’Université de Reims natif de Tambacounda. A travers cet entretien se dessine le portrait d’un jeune Tambacoundois brillant, qui croit en l’avenir de Tambacounda, tout en étant réaliste sur les défis à relever. Il appelle donc de ses vœux « une vraie rupture, une autre voie qui rassemble les jeunes valeurs sûres de Tamba, pour faire un état des lieux, dialoguer et trouver des solutions en dehors de toute ambition ou carrière personnelle ».
Entretien avec Moustapha Camara, Docteur en Droit privé
Quel est votre parcours et quelles circonstances vous ont amené en France?
Je suis né à Tambacounda et j’ai fait toutes mes études de l’école primaire à la terminale dans cette ville. J’étais premier de ma classe en Terminale et j’ai réussi mon Bac avec mention. Je suis venu en France en 1994, précisément à Reims dans le département de la Marne (Région Champagne-Ardennes). Je me suis inscrit en première année d’études juridiques. J’ai obtenu une licence, puis une maîtrise en droit privé et enfin un DESS en droit. Après ce DESS, j’ai passé le concours d’entrée dans les grandes écoles de commerce organisé par HEC, ESSEC, ESCP, EM LYON et Reims Management School que j’ai réussi. Après ce concours d’entrée, j’ai obtenu à la fin de deux années d’études de management, avec option finances et marketing, un diplôme MBA. Après ce MBA obtenu dans l’une plus prestigieuses écoles de management en France, qui a entre autres formé l’actuel président de France Télévision, l’actuel président de l’AS ST—Etienne, la fille de l’ancien premier ministre français J.P Raffarin, le fils de l’actuel premier ministre français Dominique De Villepin, l’actuel député de Reims Francis Fallala, et d’autres grands patrons français et étrangers, je suis retourné à la Faculté de droit de l’Université de Reims pour faire une thèse de doctorat en droit privé sur les opérations de transfert de footballeurs professionnels, thèse que j’ai soutenue le 7 septembre 2006 dernier avec l’encadrement du Professeur Hervé CAUSSE, que je remercie au passage pour son soutien pédagogique et matériel à travers son institut de recherche sur les contrats et investissements lourds.
Les conditions d’accueil que vous avez trouvées en France ont-elles été favorables pour mener vos études?
Les études et les conditions d’accueil sont extrêmement difficiles en France, contrairement à ce que l’on croit. Depuis 1994, date à laquelle je me suis inscrit à la Faculté de droit qui compte chaque année à peu près 3000 étudiants africains, seulement trois étudiants ont pu soutenir leur thèse en droit privé. Mon oncle, Seydou Guindo, a financé ma première année d’études et m’a beaucoup conseillé, soutenu moralement et psychologiquement. J’ai finalement pu obtenir une aide boursière du gouvernement sénégalais pendant cinq ans. Les longues études, c’est beaucoup de souffrance, d’isolement, de sacrifices, de privations.
Avez-vous retrouvé des compatriotes tambacoundois en France et avez-vous développé des activités communes ou associatives?
J’ai trouvé deux étudiants tambacoundois, en l’occurrence Mady Danfakha et Khaoussou Sylla, sur 600 étudiants sénégalais. Ce qui est regrettable car moins on a de personnes hautement compétentes, moins notre ville sera représentée dans les hautes sphères de décision de notre pays. La situation n’a pas évolué pour les Tambacoundois. Pourtant le nombre de boursiers sénégalais augmente chaque année depuis l’alternance. Les jeunes Tambacoundois sont-ils mal défendus par nos élus au niveau des services de bourses du Sénégal? L’éducation n’est-elle pas la base de tout développement? Si nos dirigeants régionaux ne nous défendent pas, qui le fera à leur place, pour nous, nos frères et sœurs, nos enfants? Je me suis investi dans la vie associative d’abord dans l’association des étudiants sénégalais pendant 5 ans, ensuite comme vice-président du conseil d’administration du CROUS de la Région Champagne-Ardennes en tant que représentant de l’ensemble des 27000 étudiants de l’université, enfin comme président de l’association de tous les étudiants africains qui représente à peu près 3000 étudiants.
Pourquoi avoir choisi le thème de votre thèse dans le domaine du football?
Deux raisons m’ont poussé à choisir un sujet de thèse sur les transferts de footballeurs professionnels.
– D’abord, le vide juridique, puisque les sportifs professionnels sont transférés à des montants estimés aujourd’hui à presque 2 milliards d’euros alors que l’opération n’est pas qualifiée sur le plan juridique. Mon travail consistait à donner une base juridique aux transferts. Ainsi, j’ai proposé une problématique à la FIFA et au centre international d’études du sport en Suisse, qui non seulement ont retenu ma candidature après une sélection mondiale des dossiers mais aussi décidé de m’octroyer une bourse de recherche très prisée.
-Deuxièmement, le football est le sport roi et l’Afrique, notamment le Sénégal, a besoin d’experts de haut niveau pour adapter son organisation aux évolutions récentes du sport qui est devenu un vrai business nécessitant une vraie expertise. Nous ne manquons pas de talents mais nous manquons d’expertise réelle en matière de management sportif pour réduire ce que j’appelle la fracture sportive.
Avez-vous l’intention de contribuer par vos travaux universitaires à l’amélioration des conditions de transfert des footballeurs africains et de quelle manière?
Les propositions faites dans ma thèse et acceptées par la FIFA vont dans le sens de l’amélioration des opérations de transferts donc vers une meilleure prise en compte des intérêts des centres de formations, des fédérations des pays en développement, des joueurs africains souvent exploités. Je suis prêt à conseiller les institutions sportives de mon pays, ce que d’ailleurs je commence à faire avec l’Institut Diambars dirigé par J.A. Bocco, S. Seck, B. Lama et P. Viera.
Quels sont vos ambitions professionnelles pour l’avenir?
Actuellement, on m’a proposé des cours à l’université de Reims en 5e année sur les contrats sportifs. Je suis parallèlement mon stage d’avocat. Mon ambition est donc d’enseigner et de conseiller les joueurs, les agents et les fédérations dans la rédaction et la négociation de contrats sportifs.
En tant que doctorant en droit natif de Tambacounda, comptez-vous mettre vos compétences au service du développement de votre région et de quelle manière?
S’agissant de notre région Tambacounda, je suis ouvert à collaborer avec le conseil régional, la ville pour apporter une contribution, des idées pour faire avancer la région et la ville. Tout dépend des élus, de leur projet et leur ambition.
Quelle est la priorité selon vous pour mettre Tambacounda sur les rails d’un changement positif et quels sont les acteurs les plus aptes à enclencher ce changement?
Pour mettre Tamba sur les rails, je pense qu’il n y a pas de solution miracle, sinon je l’aurais proposée pour abréger la souffrance de nos familles. Il n y a pas non plus de fatalité. Je pense sincèrement au vu des potentialités économiques et des ressources de la région qu’il y a un déficit de communication pour la faire connaître et redorer son blason. Il faut aussi un vrai projet de développement porté par des gens hautement compétents, qui sont au diapason de la mondialisation et intègres. Il faut donc une vraie rupture, une autre voie qui rassemble les jeunes valeurs sûres de Tamba, faire un état des lieux, dialoguer et trouver des solutions en dehors de toute ambition ou carrière personnelle.
Quel est votre position sur les prochaines élections au Sénégal et quelles sont selon vous les chances de Tamba d’être réellement prise en compte par le pouvoir qui sera mis en place par les urne?
Je n’ai pas de position sur les prochaines élections. Tout ce que je souhaite c’est que le scrutin soit transparent, démocratique et que chaque Tambacoundois qui vote sache qu’il a entre ses mains l’avenir de sa région, de sa ville, de sa famille, de ses enfants pour des années. Les revendications de Tambacounda ne seront prises en compte que lorsqu’elle sera représentée par des valeurs sûres sans complexe qui seront à même de défendre ses intérêts. Il faut que la région et la ville aient des représentants dans les hautes sphères de décisions de l’Etat. Avant l’alternance, la région avait des ministres, un président de l’Assemblée nationale et un président du Conseil économique et social. Aujourd’hui, force est de constater que les Tambacoundois sont devenus les Sénégalais oubliés de l’alternance.