Au fil de ses pérégrinations dans la diaspora tambacoundoise, tambacounda.info ambitionne de présenter à travers des interviews le profil de jeunes cadres dont le cœur et l’esprit restent fortement attachés à leur région natale. C’est au tour de Sara Ndao, actuellement doctorant en Philosophie politique à l’Université de Paris 1, de livrer son témoignage, ses réflexions et sa vision à travers un long et passionnant interview.
Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre vie d’élève à Tambacounda ?
Pour tout vous dire, j’ai une vraie nostalgie des années primaire, collège et lycée. J’ai une folle envie de retrouver tous mes promotionnaires et compagnons d’étude de ces périodes très riches de ma vie. Je nourris parfois la volonté bizarre de retourner à l’enfance et de pouvoir revivre avec eux ces moments d’innocence, d’insouciance et donc de bonheur. Je me dis que j’ai eu une véritable chance de les avoir connu et d’avoir partagé avec eux des épreuves très marquantes dans notre formation individuelle et collective. Ils ont véritablement participé à ma richesse personnelle et j’espère que j’ai fait autant pour la leur.
Au-delà des élèves, il y a eu des professeurs qui m’ont marqué à vie et qui sont devenus pour moi des modèles d’intégrité morale, de persévérance et de don de soi pour la réussite des autres. J’ai essayé d’une certaine manière de m’inspirer d’eux tout au long de mon parcours et encore aujourd’hui plus que jamais. Il s’agit au lycée de M. AW, professeur de français, de M. MBOUP, professeur d’anglais, de MM. NDAO et DIALLO, professeur d’histoire et de géographie et de M. FALL, professeur de philosophie. Au collège, celui de Moriba Diakhité, je me rappelle encore de M. DIA, professeur d’histoire et de géographie, de M. SALL, professeur de mathématiques, de M. BOIRO, professeur de français et de “Misses” NDIAYE, professeur d’anglais.
Mais ceux qui m’ont le plus marqué et suscité un enthousiasme sans borne à leur égard, sont sans aucun doute M. FALL et M. SALL. Le premier pour sa pédagogie rodée, son intelligence et sa capacité à pouvoir comprendre ses élèves et à leur donner le conseil adéquat. Il avait pour cela un don de psychologue. Je ne vous dirai pas combien de fois il m’avait remonté le moral. Il était tout le temps disponible et il n’hésitait pas de se déplacer pour venir assister à nos débats philosophiques des samedis soir et à corriger nos exercices hebdomadaires dans le cadre dudit travail de groupe. Et jamais il nous avait montré un signe de découragement ou de lassitude. Le second pour son dévouement inconditionnel à l’éducation. On voyait bien qu’il était toujours omnubilé par la réussite de tous ses élèves et au-delà par le bon fonctionnement des cours dans l’établissement scolaire. Il était très patient et n’hésitait pas à revenir plusieurs fois sur une même leçon pour permettre à l’ensemble des élèves de comprendre. J’étais très nul dans sa matière mais son dévouement m’a beaucoup marqué et j’essayais en vain de faire des efforts pour lui faire plaisir. En plus, il avait ce don particulier de détendre l’atmosphère par des plaisanteries astucieuses. Je rappelle qu’il était l’animateur principal de la troupe théâtrale du collège. Ces deux professeurs m’ont profondément marqué et ils sont pour moi des virtuoses de notre système éducatif et de notre nation. Je leur dis mille fois merci.
Avez-vous rencontré des obstacles pour partir étudier à l’UCAD puis à Amiens en France ?
Ma première année à l’UCAD n’a pas du tout été facile – c’est le moins qu’on puisse dire – mais elle a été très formatrice. Et je pense que si j’ai pu réussir d’une part, c’est parce que j’avais connu des moments de difficultés extrêmes. Inlassablement, je me disais que je n’avais pas le droit de démissionner et que la vie d’un homme digne de ce nom passe nécessairement par ce genre de périodes. Mon véritable ami de ces moments là était ce vieil adage qui dit que “sans les épreuves, les rois seront sans couronne”. D’autre part, j’ai pu bénéficier de la disponibilité et du soutien d’une cousine (elle se reconnaîtra).
Ma venue en France, grâce au Tout Puissant, a été relativement facile par rapport à celle de certains étudiants que je connais. J’ai trouvé assez aisément quatre universités françaises qui m’ont accordé une pré inscription, plus celle de Genève. Pour la prise en charge bancaire, j’ai un oncle en France qui s’en était occupé. L’ambassade de France au Sénégal m’a donc logiquement livré un visa dans un meilleur délai.
J’ai eu la chance d’être accueilli par mon oncle dès ma descente d’avion, chance que beaucoup d’étudiants n’ont pas eu et qui, dans la plupart des cas, sont abandonnés par leurs propres parents. Il faut savoir que l’accueil des étudiants fraîchement venus en France est un réel problème. Il serait bien que les étudiants qui souhaitent continuer leurs études en France soient conscients de ce phénomène. La France n’est pas un eldorado et elle est d’ailleurs très loin de l’être. La vie est très chère et la solidarité, même si elle est souhaitée, ne peut fonctionner correctement, car chacun a ses petits soucis qu’il le dise ou pas. Il faut se séparer de la fausse idée selon laquelle que ceux qui sont en France ont une vie merveilleuse. La plupart des immigrés ici vit dans des foyers insalubres, indignes d’un pays développé. Malheureusement ces mêmes personnes, une fois au pays, alimentent de manière générale le mythe de l’occident par des comportements qui frisent la vanité voire le snobisme.
Quels sont, selon vous, les problèmes les plus urgents à régler dans le domaine de l’éducation dans la région de Tambacounda ?
Il saute à l’oeil que le problème principal de l’éducation reste la construction de plus d’établissements scolaires surtout au niveau de l’enseignement secondaire et secondaire général. Ce qui est clair, c’est qu’il nous faut d’avantage de lycées et de collèges et cela dans tous les trois départements de la région. Combien de jeunes ont dû abandonner leurs études faute de pouvoir trouver un tuteur ou une tutrice ? Je ne dis pas qu’il faut des collèges dans les villages, mais que chaque communauté rurale, non seulement de Tamba mais de toutes les autres régions du Sunugaal, doit disposer au moins d’un collège. La majorité de la population étant jeune, toute politique qui se respecte est de veiller à son éducation et à sa formation. Car sans formation, cette jeunesse est perdue. Et ce n’est point hasard si la majorité voire même la totalité des jeunes qui tentent l’aventure cauchemardesque et tragique par les mers pour un eldorado qui n’existe même pas sont des jeunes sans “éducation” ou sans qualification. Le pourcentage est nettement plus bas voire même nul au niveau des jeunes qui ont eu la chance de fréquenter l’école républicaine.
Le gouvernement du Sénégal investit en moyenne près de 40% de son budget annuel dans l’éducation, il faut reconnaître que notre région, comme très souvent d’ailleurs, est très mal servie voire même oubliée. Pour quelles raisons ? Je ne saurais le dire avec précision. Ce qui est clair, c’est que cette situation ne saurait perdurer. Il est grand temps que les Tambacoundois et les Tambacoundoises, sans surtout entrer dans des velléités régionalistes comme cela risque de pouvoir se produire, se lèvent et prennent leur destin en main. Il n’y a pas d’autres alternatives. Mais quelque chose me dit que cela se fera, car je l’ai senti et le ressent encore aujourd’hui ne serait-ce qu’à travers les quelques débats que j’entretiens de temps en temps avec d’autres Tambacoundois et Tambacoundoises et grâce notamment à votre portail qui, en dehors de la simple information, joue à bien des égards un rôle de conscientisation. J’en profite au passage pour vous en remercier et vous encourager.
La construction d’établissements scolaires avec de réels moyens en matière d’enseignants expérimentés, de matériels didactiques, d’équipements informatiques, etc. dans ces cycles sans oublier évidemment les autres est donc plus qu’une urgence. Elle est l’urgence même.
En même temps ce qu’il faut pour notre région et par conséquent pour le pays en matière d’éducation c’est de revoir progressivement et à terme généralement tout notre système éducatif. L’éducation doit répondre aux besoins du pays sur le plan de mains d’œuvres qualifiées dans tous les secteurs de son économie. Il convient donc de construire des écoles de formation professionnelle et technologiques, car il est temps que nous sachions que tous les élèves ne sont et ne seront pas destinés à de longues études universitaires. D’ailleurs, il y a plusieurs diplômés de deuxième ou troisième cycles qui n’arrivent pas à trouver du travail. Et cela, c’est du gâchis non seulement pour l’élève mais aussi pour l’Etat qui investit des millions sur un citoyen sans qu’il en tire « bénéfice ». La professionnalisation de notre système éducatif nous évitera d’énormes gaspillages et par voie de conséquence nous permettra de rentabiliser tout investissement sur la formation et l’éducation. L’Etat du Sénégal doit vulgariser et valoriser les formations ou les filières technologiques et professionnelles.
J’aimerais que notre région soit suffisamment dotée d’écoles ou de centres de formations et de recherches dans les domaines de l’agro-pastoral et des mines. Car elle regorge de beaucoup de terres arables très fertiles et de ressources minières tels que le fer, l’or, le cuivre, le marbre. Cela permettra de moderniser et de développer notre agriculture et notre élevage et en même temps d’offrir des emplois de qualité et non subalterne à des fils ou filles de la région pour toute exploitation de nos ressources minières. Nous avons de réels potentiels naturels pour se développer et pour améliorer nos conditions de vie mais cela passe forcément par une ressource humaine formée préalablement pour nos différents besoins. J’estime qu’en orientant ainsi notre système éducatif, avec en appoint la création d’infrastructures routières et ferroviaires, la région de Tambacounda sera à coup sûr le principal poumon économique de notre Sunugaal dans les deux prochaines décennies à venir.
Le gouvernement du Sénégal, par le biais de la construction notamment de quelques écoles de formation et des centres universitaires régionaux, semble être conscient de ce problème. Toujours est-il, encore une fois, que notre région n’est pas une priorité. Or, qu’on le veuille ou non, cette région est le futur pôle de développement minier et agricole de notre cher pays. Ne pas y penser et y œuvrer constitue, je pèse bien mes mots, un attentat pour notre destin collectif en tant que Sénégalais et au-delà en tant qu’Africains. Car notre région est une région carrefour frontalière avec le Mali, la Mauritanie, la Gambie et la Guinée Conakry. Et dans la perspective d’une dynamisation de l’Union Africaine, comme le souhaite notre Président de la République et beaucoup d’autres chefs d’Etat africains, la dotation de ce carrefour africain en infrastructures routières, en industries, en sociétés de services, en grandes écoles de formations est un besoin vital. Je rêve d’ailleurs que Tambacounda abrite la première université sous-régionale créée par l’U.A dont le but serait de former des africains aux métiers de l’industrie sidérurgique, de la géologie minière, de l’agriculture et de l’élevage. En plus, cette grande Ecole africaine doit avoir pour objectif pratique de consolider l’union des Etats et populations africains par la culture et par la mise sur pied des programmes d’échanges sur fond de partage de l’histoire de nos différents peuples pour qu’enfin la solidarité et l’amour puissent s’installer réellement et durablement dans nos relations, car là où l’ignorance est vaincue, l’arbre de la tolérance et de l’amitié fleurit.
Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à entreprendre des études de philosophie dès votre entrée à l’UCAD ?
En réalité j’ai voulu me diriger vers des études de droit après le bac et je m’y étais déjà préparé en achetant différents fascicules de droit et cela moins d’un mois après le bac. D’ailleurs, je l’avais choisi en première et deuxième position, la philosophie n’arrivant qu’à la troisième, c’est-à-dire la dernière. Encore que c’est Abdoulaye DIANE, un ami et un promotionnaire qui me l’avais conseillé en disant que je disposais d’atouts assez sérieux dans ce domaine. Ce qui s’est passé, c’est que j’étais orienté dès la première commission en philosophie sans le savoir depuis près de trois semaines passées à Dakar. J’ai essayé de changer plusieurs fois de faculté mais en vain puisque notre chef de département Ousseynou Kâne y avait mis son veto. Finalement, j’ai fait philosophie et cela m’a bien servi, car je faisais partie des quelques rares étudiants qui avaient validés leurs sept unités de valeurs sur sept dès la première session d’examens.
Cependant, il faut préciser que j’ai toujours aimé la philosophie et si je ne l’avais pas choisie en première position, c’est que j’avais peur d’elle ; c’est une matière qui a toujours intrigué les élèves et les étudiants et je n’avais pas fait exception à la règle. Je continue aujourd’hui de la faire et je remercie Le Tout Puissant d’arriver au niveau où j’en suis. Pour moi, la philosophie est une matière passionnante et c’est parce qu’elle est si passionnante qu’elle suscite d’énormes questionnements, de critiques et parfois de rejets. J’ai pas mal discuté avec des gens qui trouvent cette matière inutile. Ce que je remarque à chaque fois, c’est qu’elle leur inspire soit la peur, soit un certain dégoût total, soit le respect ou l’admiration tout court. Elle représente toujours, d’une certaine manière, une sorte d’énigme à leurs yeux. C’est une matière qui, de par son caractère intempestif, ne laisse jamais indifférent. C’est là toute la force de la philosophie. Depuis des millénaires la question de son utilité est posée et malgré tout elle continue de vivre de la plus belle des manières au-delà des peuples, des frontières ou des civilisations.
En résumé, même si j’ai été contraint quelque part de faire cette matière, j’en suis aujourd’hui ravi et je remercie chaque jour que Dieu fait M. Kâne et mon ami Diané de m’avoir permis de faire cette agréable matière en me permettant de combattre mes propres peurs et angoisses face à cette discipline. Je l’aime parce que j’estime qu’elle est la discipline reine à l’exercice d’une pensée libre et interrogative. Et à ce titre, elle nous permet de pouvoir se libérer des pseudo-évidences, des chaînes dogmatiques bien huilées et cela qu’elles soient issues des traditions, des religions, et aujourd’hui du scientisme ou du rationalisme politique tel qu’il sévit dans le monde occidental. C’est une matière qui se veut généraliste et qui ne veut rien omettre de la richesse ô combien complexe du genre humain, des sociétés, des cultures ou des civilisations.
Etiez-vous dès le départ attiré par la philosophie politique, si oui pourquoi ?
Je peux sans ambages dire oui, car dès le début j’ai toujours voulu que mes études puissent me servir à acquérir des outils intellectuels fiables me permettant d’agir et d’apporter quelque chose pour ma société, mon peuple et mon temps. Et parmi toutes les branches de la discipline que je fais, j’estime que la philosophie politique est objectivement celle qui m’offre plus d’opportunités par rapport à cet objectif majeur que je me suis toujours fixé. Car au fond, la philosophie politique nourrit l’ambition d’étudier la question fondamentale du pouvoir dans les différentes sociétés humaines ; et pour cela, s’intéresse aux mécanismes de conquête et de conservation du pouvoir et de la conformité de cet ensemble avec l’esprit du droit politique qu’elle a inventé au fur des siècles de luttes, de persévérance et surtout de profondes réflexions. Donc c’est une matière qui s’intéresse à l’homme de manière générale en le confrontant avec son milieu social, économique et culturel. Dans cette étude du pouvoir, elle cherche, quoi qu’en pensent un certain nombre de personnes, à apporter des réponses qui se veulent précises et satisfaisantes sur le comment d’une société harmonieuse avec des hommes qui ont des intérêts privés divergents. Et on sait qu’au fond de la philosophie politique deux courants se sont toujours opposés et qui dégagent des visions différentes sur la nature du lien social. L’un qui se dit libéral et qui développe plutôt une théorie basée sur une vision individualiste des sociétés modernes, c’est-à-dire où l’individu est la valeur de référence. Dans ce courant, la solidarité, le partage et l’entre aide ne sont pas des concepts clés. L’autre qui postule une vision de la société conçue comme un Tout, un corps organique dont les citoyens sont autant de membres interdépendants. Elle est dans ce cas comme une association d’individus unis pour satisfaire leurs intérêts réciproques au sein d’une collectivité solidaire et fraternelle. Elle défend aussi la notion de liberté individuelle mais pense que la condition de celle-ci est l’égalité. Sans égalité, postule-t-elle, la liberté de tous est une chimère.
Ces questions que la philosophie politique et morale porte en son sein sont des questions qui m’intéressent au plus haut niveau. Mon ambition est d’y apporter ma modeste contribution.
Votre mémoire de DEA de philosophie à la Sorbonne à Paris traite du Contrat Social de J.-J. Rousseau et vous faites actuellement une thèse de doctorat sur ce philosophe. A quel moment et pourquoi avez-vous centré votre intérêt sur cette figure du siècle des Lumières en Europe ?
Exact. En précisant au passage que mon mémoire de Maîtrise porte aussi sur les principes démocratiques du Contrat social. Je pense que mon intérêt pour ce philosophe a débuté dès mes premiers pas avec la philosophie sous l’égide de M. Fall, c’est-à-dire en terminale. Je me rappelle que la plupart de mes références, pour ne pas dire toutes, étaient de Rousseau. Ce qui m’a valu d’ailleurs d’être surnommé “Rousseau” par mes camarades de classe. Je me rappelle aussi que j’avais lu son Contrat social deux fois de suite et ses Confessions. Ce qui m’a frappé d’emblée, c’est sa facilité de plume et la simplicité de son style. Lire une seule phrase de ses écrits me donnait une folle passion de continuer. Cependant, sur le fond, l’auteur n’est pas facile à saisir. Rousseau est certainement le philosophe du paradoxe et j’ose dire que si le paradoxe n’existait pas, il l’aurait certainement inventé. Dans la mesure où je suis quelqu’un qui aime découvrir ce qui est caché derrière l’antagonisme des mots et des expressions, il était devenu mon auteur préféré. Au-delà de tout cela, les thèmes développés étaient des thèmes majeurs au sein de la philosophie tout court : la liberté, l’égalité, l’Etat, le droit, la citoyenneté, la souveraineté, la volonté générale, le patriotisme, etc. Et je sentais une certaine adhésion de mon sentiment intérieur par rapport aux réponses qu’il donnait sur certains sujets. C’est pour cela que j’ai voulu l’étudier.
Aux yeux d’un philosophe sénégalais, quelle est la portée de l’œuvre de J.-J. Rousseau dans l’histoire et dans le monde d’aujourd’hui pour le continent africain ?
Quelle question. . . Bien. Il serait difficile d’amener ici une réponse exhaustive par rapport à cette interrogation. Elle peut être l’objet d’un livre. Mais essayons de voir deux questions fondamentales qui se posent à notre continent et les réponses qu’on pourrait leur apporter à partir d’une certaine compréhension ou interprétation des écrits de Rousseau.
Mais ce qu’il faut d’abord noter, c’est que Jean-Jacques Rousseau est un auteur universel en ce qu’il est tout simplement le père de la démocratie moderne. Il faut savoir que même s’il n’a pas inventé le concept de souveraineté, il est le premier à avoir affirmé non seulement que l’origine de la souveraineté se trouve dans le peuple mais que ce dernier en est le seul et unique tuteur. Par conséquent, il juge inconcevable que cette souveraineté soit confisquée ou que le peuple l’aliène en la confiant à une personne ou à un groupe d’individus. A ce titre, il est profondément allergique à la monarchie (qu’elle soit absolue ou constitutionnelle) et à l’aristocratie. Cette posture, si elle est très bien comprise et bien appliquée est la clef pour tout peuple, quel qu’il soit, de son émancipation politique, culturelle et morale. Car elle pousse, entre autres, au respect de la chose publique et de toutes les valeurs relatives à celle-là. Ce n’est pas pour rien si Rousseau, à l’instar de Voltaire, était accusé par l’Ancien Régime comme le principal responsable de la Révolution française de 1789 et si ses œuvres ont pu par la suite inspirer les différentes révolutions un peu partout dans le monde.
Dans le contexte actuel du continent noir fortement engagé, sans réels moyens, dans un processus de mondialisation et de libéralisme exacerbés, les critiques de Rousseau sur l’économie financière peuvent, d’une certaine manière, nous aider à polir nos outils intellectuels pour éviter le désastre. En effet, la mondialisation a précipité le capitalisme, via la spéculation boursière, dans une ère de capitalisme postindustrielle, c’est-à-dire, un capitalisme qui fait du profit sans création réelle de richesses ou sans système de productivité. Nous autres africains et pays du tiers monde, qui n’avons pas connu un niveau d’industrialisation satisfaisant, devront être très vigilants face à ce danger. En ouvrant nos marchés ou en confiant l’exploitation de nos richesses à des multinationales étrangères nous courons à coup sûr le risque de la dilapidation de toutes nos richesses. Car ils vont, par le biais de la spéculation financière, faire des millions voire des milliards de dollars de bénéfice sans réellement produire l’équivalent de richesses. En même temps, la quasi-totalité de ces bénéfices iront certainement à des actionnaires peu scrupuleux et non à nos Etats encore moins à nos populations. La réalité de la mondialisation est que le travail est moins récompensé que le capital. Et ceci est une injustice dans la mesure où seul le travail crée véritablement la richesse. On risque par ce système d’avoir des Africains qui travaillent beaucoup et qui en même temps gagnent très très peu. Rousseau est véritablement réfractaire par rapport à ce mode d’organisation économique. S’il est opposé à l’assistanat, il pense cependant que tout travail fourni doit permettre à son auteur de pouvoir vivre décemment. Il est donc important d’avoir des investisseurs étrangers, mais en même temps il convient d’être extrêmement vigilant sur les termes du contrat de sorte que nos pays ne soient pas spoliés.
Sur le plan purement politique, Rousseau peut être très utile pour notre continent qui est en train de mener sa longue marche vers la démocratie. Ses écrits du droit politique peuvent être un ensemble de conseils aux différents régimes politiques en proie aux problèmes de stabilité à cause des coups d’Etat récurrents. Dans un intéressant article intitulé “Stabilité politique et alternance démocratique en Afrique”, le professeur Pierre NZINZI de l’Université Omar Bongo, en parlant du rationalisme contractualiste du philosophe, postule à juste titre qu’il a mis en garde tous les dirigeants contre ce qu’il appelle “l’illusion de la puissance : (car en effet selon Rousseau) le plus fort n’est jamais assez fort pour assurer définitivement sa domination factuelle donc contingente, à moins qu’il ne s’avise à transformer sa force en droit et l’obéissance en devoir”. En d’autres mots il est important, surtout de nos jours, que les dirigeants africains sachent que vouloir diriger de manière tout à fait absolue en se jouant des institutions ou de la constitution sans aucune possibilité de changement du pouvoir par les urnes conduit inévitablement à une sorte d’alternance par la force, celle-là même qui vous a permis de vous maintenir au pouvoir. Dans cette optique le retour du bâton est toujours de mise. Selon Rousseau, il n’y a pas de République sans alternance et donc sans élections libres et transparentes. De même, il pense que la pérennité du pouvoir conduit toujours et systématiquement à la corruption de celui qui le détient. C’est pour cela, en acceptant à contre cœur dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne le système représentatif qu’il avait vivement critiqué et rejeté dans le Contrat social, qu’il propose comme garde fou à toute corruption le régime des mandats impératifs, un système de comptes rendus permanents pour empêcher tout accaparement du pouvoir législatif par les députés.
Je pourrais également parler, mais de manière brève, des interrogations relatives à notre modèle social. Que faut-il faire de ce modèle séculaire dont le socle est constitué de solidarité et de fraternité et qui a du mal aujourd’hui à être opérationnel du fait de la conjoncture socio-économique critique. Face à ce questionnement de grande taille, le continent africain est partagé populairement entre deux conceptions plus qu’antagonistes. L’une qui se veut traditionaliste et qui voudrait vaille que vaille sauver notre modèle de société agonisant sans réfléchir sur les réels moyens de sa survie et sur les mutations nécessaires qu’il faut opérer. L’autre qui se dit moderne et qui prône une résistance farouche aux forces traditionnelles qu’elle juge archaïques et liberticides. Cette conception pour moi n’est qu’un mimétisme intellectuel qui voudrait consciemment ou inconsciemment qu’on copie aveuglement tout ce qui nous vient du monde occidental. Elle prend ainsi le risque d’installer l’individualisme stirnerien dans un continent meurtri par une conjoncture économique difficile. Pire, elle prend le risque d’achever pour de bon le processus d’usure de nos traditions et de notre héritage culturel. Je pense qu’une certaine lecture de Rousseau pourra nous permettre d’une certaine façon de trouver des solutions qui pourraient contribuer à la sauvegarde de ce modèle social. Dune part Rousseau est un grand défenseur de toutes les traditions qui sont à ses yeux porteuses de vertus civiques qu’aucune loi ne peut créer. D’autre part, il est le penseur de la liberté individuelle et des initiatives privées. Au cœur de sa philosophie du droit politique, se trouvent la valeur travail et celle de partage.
En résumé, l’œuvre de Rousseau, comme d’ailleurs celle de beaucoup d’autres philosophes politiques, peut avoir une portée très importante sur notre continent. Mais cela dépend, outre du travail d’exégèse, de l’orientation politique et socio-économique des différentes actions de nos dirigeants et de l’idéal que nous voulons porter nous-mêmes pour ce continent mais aussi pour le monde. Je pense qu’en corrigeant les imperfections et les archaïsmes de ses idées (et Dieu sait qu’il en existe beaucoup), le continent noir peut retrouver un certain nombre de progrès assez significatifs dans son processus de démocratisation et de la sauvegarde de ses valeurs culturelles et morales. Rousseau est un auteur des responsabilités individuelles et collectives, de justice sociale, de liberté, d’égalité et d’idéal de bonheur et de paix sociale ; et à ce titre, il est admirable à tout point de vue et cela pour toutes les cultures et toutes les civilisations.
En tant que philosophe qui aborde principalement des questions de politique, êtes-vous engagé politiquement de manière active, pourquoi et comment ?
Vous voulez certainement dire « en tant qu’apprenti philosophe » ? Parce qu’il me reste encore beaucoup de chemins à parcourir pour me réclamer. . . philosophe.
Pour tout vous dire, je n’ai pas et je n’ai jamais eu cette vision contemplative et purement spéculative de la philosophie. Je ne voudrais pas me cantonner « dans le monde éthéré des idées abstraites » comme aimait dire Sémou Pathé GUEYE, mon professeur de philosophie générale à l’U.C.A.D. Si, comme le prétend Hegel, le philosophe est toujours fils et témoin de son temps, alors il est réellement d’une manière ou d’une autre engagé dans un processus de changement ou d’évolution de la société et de ses normes. Il est forcément dès lors acteur dans le domaine des idées ou des différentes actions nécessaires dans le combat contre les dogmes et pour la liberté. Personnellement, je ne vois pas à quoi sert une idée si elle ne s’ensuit pas d’une action qui lui donne forme. Pour moi, la vérité d’une idée se trouve non pas en soi mais dans l’action.
Oui, je suis engagé politiquement et ce depuis les élections présidentielles de 1988 grâce à ma feue tante Coumba NDAO (qu’Allah ait pitié de son âme) qui était farouchement opposée au pouvoir socialiste. A partir des différents meetings qui défilaient sur le petit écran, elle m’expliquait combien ce pouvoir était corrompu et pourquoi Maître WADE était son candidat préféré. Par la suite, elle m’a fait lire Un destin pour l’Afrique. Depuis, je n’ai eu de sympathie que pour le pape du Sopi même si par ailleurs je n’ai pas toujours été actif dans les différentes structures du PDS. J’ai eu à les fréquenter, il est vrai de manière sporadique, sans avoir à occuper un poste quelconque.
C’est à Paris, en 2002, que tout a basculé lorsque que j’ai eu à rencontrer des Tambacoundois qui avaient les mêmes convictions politiques que moi tels que Souaré BOYE, Ahmed SOW, Moussa BÂ, Seydou KANTÉ, Mouhamadou KABA, Ibrahima KÉBÉ, Boubacar DIARRA et notre cher grand frère Dramane KÉITA qui était alors Secrétaire Général du Mouvement des étudiants libéraux (MEL) à Paris. Après concertations entre nous-mêmes et avec d’autres étudiants d’autres régions du pays nous avons décidé de prendre ce mouvement en charge et de lui donner un nouveau souffle puisqu’il était réellement dans un véritable état de léthargie totale dû à des querelles inutiles. J’étais désigné pour occuper le poste de Secrétariat Général et j’ai eu pas mal de soutiens en dehors même de mes frères tambacoundois. J’avais proposé de négocier avec toutes les tendances existantes pour qu’il n’y ait qu’un seul mouvement des étudiants libéraux et non deux ou trois. On a mené de longues et difficiles négociations qui avaient abouti sur un accord : l’organisation d’élections libres et transparentes au cours d’une assemblée générale. Il faut noter que si les choses ont été aussi ardues c’est parce que les autres voulaient nécessairement un consensus et un partage des sièges alors que nous, par principe et par attachement à la démocratie et à ses valeurs, voulions des élections libres et transparentes. Au moment des élections, certains candidats qui s’étaient vus incapables de gagner avaient purement et de manière éhontée refusé de se représenter. Ils avaient créées parallèlement d’autres mouvements. Les élections avaient finalement eu lieu et notre liste avait remporté haut la main tous les sièges pourvus. Cependant, pour être reconnus par les autorités, il fallait être « idyste » ou « fadiste ». Or nous n’étions ni l’un ni l’autre. Nous avions été abordés par les deux camps, mais à chaque fois nous avions refusé catégoriquement de jouer les marionnettes pour des personnes qui étaient beaucoup plus enclines à préparer leur propre avenir politique qu’à soutenir réellement Maître WADE dans ses œuvres. Il était quand même hallucinant de voir certains de nos frères attendre des consignes de Dakar pour se décider. L’histoire nous montrera plus tard que tout ça a fini par se savoir. Ces ambitions égoïstes ont fait trop de mal à notre parti surtout au niveau des jeunes libéraux. Beaucoup d’entre eux ont d’ailleurs fini par se lasser et surtout par abandonner. Ces genres de choses constituent les véritables handicaps de notre parti. Aujourd’hui le parti ne tient que grâce à Maître WADE. S’il n’est plus là, tout s’écroule. A moins qu’on entame dès maintenant le renouvellement de toutes les instances du parti par des élections libres et indépendantes. Ainsi, celui ou celle qui gagne à l’issu du congrès du parti aura tout le temps pour construire sa légitimité.
Pour ma part, je reste attaché à Maître WADE et j’espère qu’il remettra bientôt de l’ordre dans les rangs du parti dans le respect de la démocratie et de ses principes. En attendant, je me consacre entièrement à ma thèse et continue de mobiliser dans mon Niani Wouly natal pour la victoire de mon parti aux prochaines législatives. J’estime que quand on a de fortes convictions on n’abandonne ou ne transhume pas mais qu’on se bat plutôt pour annihiler les forces négatives qui minent notre organisation politique et par voie de conséquence notre pays.
Cependant, je pense au plus profond de mon être que le Sénégal ou l’Afrique ne peut se développer si les acteurs politiques surtout les jeunes ne s’investissent pas de manière noble en politique. Autrement dit, nous serons définitivement perdus si nous continuons à concevoir la politique comme un art vil au service de l’intérêt individualiste et égoïste. Je ne partage pas cette conception pragmatique et technique de la politique alimentée par des idéologies dites réalistes et qui ne sont que les expressions naturelles de l’ultra libéralisme, du nietzschéisme, d’une certaine idée courante du machiavélisme ou de certaines analyses wébériennes de la politique, qui, d’une manière ou d’une autre, proclament toutes le divorce radical entre la politique et la morale taxant du coup toute politique basée sur des valeurs éthico-morales d’irréalistes ou d’utopiques. Cette dernière conception est possible, il suffit d’y croire. Je sais que beaucoup de jeunes pensent comme moi. Et ce n’est point hasard si à Paris mon discours et mon comportement avaient séduit beaucoup plus de personnes que ceux de mes concurrents au poste de secrétariat général du MEL. Et je me méfie aussi de ceux ou celles qui ne comptent que sur la politique pour pouvoir vivre.
Quelles sont les personnalités politiques ou de la société civile qui vous inspirent de la confiance, que vous croyez capables de convaincre les TambacoundoisEs et de jouer un rôle positif pour leur région dans les cinq prochaines années ?
Sincèrement, je ne vois aucune personnalité politique ou civile en qui j’ai réellement confiance. Cela ne veut pas dire qu’il n’en existe pas. Mais qui qu’il soit, il ne faut pas qu’il répète les mêmes erreurs que ceux qui y sont actuellement. On a besoin aujourd’hui plus que jamais d’une figure emblématique porteuse d’une vision réelle des besoins de notre région en matière de santé, d’infrastructures routières, d’éducation, d’emploi des jeunes, d’exploitations de nos ressources minières, de traitements des ordures ménagères et de la modernisation de notre agriculture et de notre élevage. Je pense que Kouréchi THIAM, dans la mesure où il dispose actuellement d’un peu de visibilité dans l’appareil étatique actuel peut réaliser certaines choses à condition qu’il se sépare de cette manière archaïque de faire de la politique, c’est-à-dire distribuer des billets de francs CFA de gauche à droite sans créer de réels projets générateurs de richesses et d’emplois durables. Il doit pour cela s’entourer de jeunes qui ont une certaine approche de la réalité du terrain et les aider aussi à gravir petit à petit les différents échelons du pouvoir. En même temps, je pense que Tambacounda doit compter sur tous ses enfants de quelque bord politique qu’ils soient. Dans mon acception des choses, je pense que Souty TOURÉ, Kabiné KABA, Abdou Khadre CISSOKHO, Mouhamadou SAMOURA, Abdoulaye BATHILY, Moustapha KASSÉ et autres, s’ils opèrent un changement dans leurs habitudes et dans l’analyse qu’ils font des besoins socio-économiques de nos populations en plus de l’expérience qu’ils ont acquises, peuvent faire beaucoup pour notre région avec bien sûr une réelle volonté politique. Car dans la vie, tout est question de volonté et d’audace.
Quelles garanties crédibles, selon vous, ces personnes peuvent-elles offrir ?
Aucune. Sauf dans un processus de mutations et de conscientisations qu’ils doivent opérer comme indiqué ci-dessus. Et c’est à eux de prouver.
Quels sont vos rapports avec les ressortissantEs tambacoundois de la diaspora ?
Excellents. Vraiment excellents. Je pense que les Tambacoundois, une fois hors de leur terroir, deviennent de vrais frères et sœurs. Je vous parlais plus haut de la collaboration que j’ai eue avec des ressortissants de la région. Les Tambacoundois qui ne se parlaient pas deviennent simultanément de vrais amis et complices. C’est tellement merveilleux. Je pense que si nous sommes comme ça à Tamba, nous pouvons réaliser pas mal de destins pour notre région sinistrée et meurtrie. C’est de l’union et de la fraternité dont nous avons besoin et non les contraires.
Quel rôle peuvent-ils/elles jouer en faveur de Tambacounda et quelles sont à vos yeux les limites de l’action menée depuis l’étranger pour votre région ?
J’estime qu’ils peuvent encore jouer beaucoup de rôles très importants dans le développement de la région. Nous savons déjà que les Tambacoundoises et Tambacoundois qui sont en France entretiennent leurs familles restées au pays par envoi régulier d’argent. Ils contribuent ainsi à leur manière à l’essor économique de leur patrie. Grâce à bon nombre d’entre eux des centres de santé et des écoles ont été construits. Je pense qu’il faut les encourager 1°) par un dispositif administratif favorable à l’envoi d’argent et 2°) par des services bancaires fiables pour qu’ils puissent épargner en toute sécurité pour ensuite investir dans des secteurs clefs de l’économie sénégalaise.
C’est surtout ce dernier volet qui attire toute mon attention. Car la plupart des immigrés tambacoundois n’investissent pas dans des activités génératrices d’emplois et de richesses. Je pense qu’il faut maintenant arriver à un stade où les immigrés créent des entreprises ou des sociétés. Et je pense que c’est bel et bien possible.
Pour ma part, je réfléchis avec d’autres Tambacoundoises et Tambacoundois pour la mise en place d’un mouvement de la diaspora de notre région dont l’objectif principal sera de contribuer réellement à son développement socio-économique via la création de projets dans les domaines sylvo-pastoraux, de créations d’hôpitaux dotés de matériels sophistiqués et d’infrastructures routières pour désenclaver notre région, de traitements d’ordures ménagères. Une première réunion a été tenue et les idées dégagées sont plus qu’importantes. Nous voudrions réaliser tous ces projets avec bien évidemment le concours des pouvoirs publics, des bailleurs de fonds privés ou des institutions françaises ou occidentales d’aides au développement sans oublier les ONG et d’autres organismes dans le monde oriental et asiatique. En un mot, nous chercherons des fonds partout où c’est possible pour réaliser des projets économiquement fiables. Je peux vous dire que nous serons très pragmatiques et nous combattrons toute théorie stérile. Notre ambition est certes grande mais je peux vous dire en toute modestie que nous saurons trouver Incha Allah les moyens nécessaires à la concrétisation de tous ses pans. Car nous savons qu’il existe des bailleurs de fond, qui ne sont pas certes des philanthropes, mais qui sont par ailleurs prêts sous certaines garanties à financer des activités viables et rentables ; nous saurons leur fournir toutes les garanties nécessaires pour gagner leur confiance.
Quel est votre regard sur la génération des 20-40 ans à Tambacounda et quels espoirs fondez-vous dans la relève ?
Cette génération, j’en fais partie. Je peux donc vous dire de manière légitime que le véritable train du développement de notre région démarrera certainement avec elle. La richesse intellectuelle de cette génération, tout le monde le sait, est immense. Il y a des diplômés de tous les secteurs socio-économiques qui s’y retrouvent. Mais, si vous voulez, ce n’est ni la qualité intellectuelle ou humaine, ni l’amour que porte cette génération pour Tambacounda dont on peut douter, mais de sa capacité à agir à l’unisson pour le bien de nos populations. Voilà le véritable problème à mon sens qu’il faut régler. Nous autres Tambacoundoises, Tambacoundois – faut-il le souligner au passage – avons la mauvaise réputation d’être toujours divisés. Je le dis en toute connaissance de cause. Les Tambacoundois ont, excusez moi du terme, la gâchette assez facile pour flinguer leurs propres frères que de les aider. Nous avons l’art de rejeter ou de caricaturer systématiquement toute initiative qui vient parmi nous. Vis-à-vis de nous-mêmes, nous faisons plus facilement usage de notre esprit de critique que de notre esprit critique. Je pense qu’il est grand temps de changer. Ce comportement inique et éhonté ne peut perdurer. Faisons le pour l’amour que nous portons pour ce beau et riche terroir, faisons le pour les futures générations. C’est un devoir moral et éthique. Nous avons d’énormes opportunités sur tous les plans (intellectuel, humain, culturel et minier), l’essentiel, c’est de pouvoir les transformer en résultats concrets. Et c’est parce que nous sommes divisés que nous n’arrivons pas à agir de manière conséquente ; et c’est encore parce que nous sommes divisés que les autres nous ignorent ou nous négligent s’ils ne nous méprisent pas. Vous savez, il est de nos jours très facile de critiquer voire de traiter les hommes politiques ou les autorités publiques de tous les noms d’oiseau quand il s’agit de déterminer des responsabilités par rapport à la situation tragique de notre région. Ce n’est point pour les défendre ; mais j’estime qu’il est beaucoup plus judicieux dans le contexte actuel des choses de faire le diagnostic complet de nos comportements et nous verrons que nous sommes tous responsables compte tenu de notre incapacité morale et rationnelle à s’entendre pour la défense des intérêts vitaux de notre région. Vous m’excuserez de ma franchise, mais rien de durable ne se construit dans le mensonge et dans l’hypocrisie.
C’est d’autant plus important de souligner cela que la plupart de ces jeunes ambitionnent de travailler dans un cadre collectif pour l’amélioration de nos conditions de vies. Je crains qu’ils ne butent encore une fois sur ce genre de problème. Il est donc capital que chacun, chacune s’inscrive dans une dynamique de respect, d’écoute, d’humilité, de fraternité, d’objectivité et surtout d’observation de la démocratie et de ses règles. Ce qui risque de compliquer véritablement les choses, c’est qu’il est évident que tous ces jeunes ne peuvent pas à priori partager les mêmes convictions politiques ou idéologiques. J’espère cependant que, sous l’impulsion de ce que j’appelle un fois de plus une éthique de responsabilité individuelle et collective, nous arriverons à transcender honorablement nos divergences. Le contraire serait impardonnable du point de vue moral, rationnel et historique. Pour ma part, j’estime qu’il est possible au-delà de la politique et des idéologies, de se réunir autour d’un bon nombre d’idées et de projets. Et, à partir d’une plate forme commune et unifiée, chacun, chacune peut s’atteler à sa réalisation concrète que ce soit dans un cadre collectif ou à titre privé. C’est là une certaine mise en œuvre du concept de majorité d’idées cher au président de la république. Avec de telles conceptions, il est certain, c’est ma profonde conviction, que cette génération pourra faire de Tambacounda la région la plus enviée non seulement du Sénégal mais de l’Afrique. Elle a tous les talents pour ça, mais il lui manque un certain “savoir-agir” ensemble. Travaillons dans l’unité ainsi que dans la responsabilité qui nous incombe et le monde verra. Le sens de notre histoire collective résidera dans l’affirmation de notre capacité à travailler ensemble et dans les efforts que nous aurons à déployer pour l’émergence d’un Tambacounda uni, prospère et fier.
Quelles sont vos ambitions professionnelles et politiques ?
Au terme de mes études, j’aimerais être professeur de philosophie politique au Sénégal ou n’importe où dans le monde. En plus de cela, j’aimerais mettre mes compétences, au-delà de Tambacounda et du Sénégal, au service de la consolidation de l’unité africaine. Il est illusoire de penser que nos différents pays, dans leur pérégrination solitaire et égoïste, peuvent faire face au défi de la mondialisation qui est, qu’on le veuille ou non, une réalité accablante. Le continent noir dans sa globalité ne pèse que 1,5% sur la balance du commerce mondiale. C’est très dérisoire. Face à l’émergence de grands ensembles économiques et politiques, il nous faut une Afrique politiquement et économiquement unifiée. Si, en tant que sénégalais nous voulons un Sénégal fort et émergent, alors travaillons pour l’éclosion d’une puissance africaine véritable. C’est ma conviction.
Propos recueillis par tambacounda.info