«Je voulais devenir historien mais le président Wade a fait basculer mon destin dans le journalisme»
Ancien journaliste du quotidien national Le Soleil, il est parti de rien pour devenir aujourd’hui le Directeur Général du Groupe de communication Alkuma. Natif de Tambacounda, Maké Dangnokho a un parcours atypique. Après sa rencontre avec le président Wade en 2004, son destin a basculé dans le journalisme alors qu’il rêvait devenir un grand historien.
Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de tambacounda.info ?
Permettez-moi d’abord de remercier l’initiateur du site de tambacounda.info en la personne de Ousmane Dia ainsi que tous les journalistes qui y travaillent. Nous sommes au mois de Ramadan, je profite de cette interview pour adresser mes chaleureuses salutations à toute la Oumma Islamique. Pour répondre à votre question, je suis un journaliste professionnel, natif de Tambacounda. J’ai fait mon enfance au village de Bantantinty (situé à 38 km de Tamba) où j’ai obtenu mon Certificat de fin d’études élémentaire (Cfee) et l’entrée en 6ème.
Élève au CEM Moriba Diakité, j’ai été renvoyé en classe de 3ème pour perturbation et absentéisme mais surtout mauvaise conduite à l’égard de certains de mes professeurs. Force est de reconnaître que j’étais certes un bon élève mais très turbulent. Je me rappelle, des camarades de classe à Moriba Diakité m’avaient surnommé le «fou heureux». Mais, aujourd’hui, avec l’âge et aussi grâce à la pratique des arts martiaux, certains ne me reconnaissent plus. Je suis devenu très sage. Exclu de Moriba Diakité, j’ai supplié le Principal M. Bangaly Keita de m’accorder une dernière chance en m’aidant à obtenir un transfert pour Thiès. Je lui serai toujours redevable, car rien ne l’obligeait à le faire. Et c’est à Thiès que j’ai obtenu mon Bfem au Collège Amadou Coly Diop et mon Baccalauréat au Lycée Malick Sy avant de m’inscrire au département d’Histoire à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je suis célibataire sans enfant mais à la recherche de l’âme sœur pour fonder un foyer.
Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre vie d’élève à Tambacounda ?
Étant un fils de paysan, j’ai partagé mon enfance entre les bancs de l’école et les champs à Bantantinty. A Tamba, j’ai habité dans plusieurs quartiers ; de Dépôt à Quinzambougou en passant par Plateau… ! Et en 1998, j’ai quitté Tamba pour aller Thiès. Ma vie d’élève à Tambacounda reste très passionnante. Au quartier Dépôt, j’étais toujours en conflit avec mes camarades. Au syndicat (lieu de vente des fruits), j’étais un grand débrouillard car faisant plusieurs petits métiers pour avoir de l’argent. J’adorais jouer au football. A Bantantinty, on m’avait surnommé Eric Cantona. J’avais aussi des talents exceptionnels dans la danse et allais souvent au cinéma Dépôt pour suivre les films sur les arts martiaux.
Quelles sont les motivations qui vous ont poussé à entreprendre des études en journalisme à l’ISEG?
Je vais vous faire une confidence. Si je suis devenu journaliste, c’est grâce au Président de la République Me Abdoulaye Wade. Etudiant à l’Ucad, je fus aussi membre du Mouvement des élèves et étudiants libéraux (Meel). En septembre 2004, le Meel et l’Ujtl ont organisé une Université libérale à Somone présidée par le frère Secrétaire général national. J’ai pris part à cette rencontre aux côtés de plusieurs responsables du parti, parmi lesquels l’ancien premier ministre Macky Sall, Modou Diagne Fada…Puis-je préciser que j’ai arrêté de faire de la politique depuis octobre 2006.
Je me rappelle, nous avions formé un petit cercle autour du Président Wade, près de la piscine de l’hôtel où nous logions. Me Wade demandait à chaque étudiant de se présenter. Lorsque ce fut mon tour, j’ai dit ceci : «Excellence, je m’appelle Maké Dangnokho, étudiant en première année au département d’Histoire à l’Ucad». Il me répond en ces termes : «tu es étudiant au département d’histoire pour devenir quoi, un pauvre enseignant» ? Tout le monde s’est marré y compris lui-même. Il s’en est suivi un petit échange entre lui et moi. Puis, il me dit «va faire une formation professionnelle. Très tôt, tu pourras travailler et aider tes parents». Avant de m’interroger : «que veux-tu faire comme formation» ? J’avais répondu, sans conviction, «le journalisme». «C’est bon, dit-il, tu t’exprimes bien. En principe, tu pourrais devenir un bon journaliste. Je vais t’accorder une bourse d’étude. Remets tes dossiers au ministre de la Jeunesse Aliou Sow et tu auras une bourse. Il y a de bons instituts de formation en journalisme à Dakar». A l’époque, beaucoup d’étudiants du Meel ont obtenu une bourse de formation professionnelle grâce au Président Wade.
Quelques jours après l’Université libérale, je suis parti à l’Iseg (Institut Supérieur d’Entrepreneurship et de Gestion) pour avoir une facture pro-forma afin de constituer le dossier. Et, c’est par la suite que j’ai remis mon dossier à l’ex-ministre de la Jeunesse Aliou Sow (actuel ministre des Collectivités Locales et de la Décentralisation). Mais, grande sera ma surprise lorsque, ce dernier pour des raisons purement politiciennes, a refusé de transmettre mon dossier au président de la République.
Je dois rappeler qu’avant l’Université libérale, il y avait un conflit entre le Secrétaire général du Meel Madiop Bitèye et Aliou Sow. Etant un lieutenant du premier nommé, j’ai dénoncé sur les ondes d’une radio de la place les manœuvres d’Aliou Sow consistant à diviser le Meel (l’histoire a fini par me donner raison, car le Meel a été dissout après, suite à l’agression contre Madiop Bitèye). D’ailleurs, c’est au cours de cette rencontre que le président Wade a réconcilié Aliou Sow et Madiop Bitèye.
Malgré tout, rancunier, M. Sow continuait à combattre les proches de M. Bitèye y compris moi-même. Je prends à témoin Mountaga Ndiaye (jeune frère de l’ancien ministre du Commerce Habibou Ndiaye. Mountaga était le chef de Cabinet d’Aliou Sow), le sieur Moussa Sy (jeune frère du ministre d’Etat Habib Sy qui a pris part à l’Université libérale) et l’assistante d’Aliou Sow, une certaine Mme Bâ qui m’a suggéré de laissé tout entre les mains de Dieu. D’ailleurs, Mountaga Ndiaye me disait ceci : «si Dieu a décidé que tu seras journaliste un jour, avec ou sans cette bourse d’Abdoulaye Wade, tu le deviendras».
Quelques jours après, je suis retourné voir le président de l’Iseg, Mamadou Diop avec le montage définitif de mon journal «L’Echo de Tamba» à la recherche de partenaire. M. Diop m’a dit qu’il veut prendre les 4 pages intérieures du journal que je vendais à 250 000 F Cfa chacune. Il s’y ajoute qu’il a accepté de payer l’impression et il prendra gratuitement 2000 exemplaires imprimés sur les 3000. Puis le président Diop me dit «je vais te payer progressivement les 1 million de F Cfa, le coût des 4 pages d’insertion publicitaire». Sachant que je n’aurai plus la bourse de Me Wade à cause d’Aliou Sow, j’ai fait la proposition suivante au président Diop : «je préfère une formation professionnelle à la place des 1 million car la facture pro format que vous m’avez remise fait moins d’un million».
Surpris, il me regarda longtemps, puis indique « tu es très intelligent jeune homme pour comprendre que la formation vaut mieux que le million. Par conséquent, de la première à la 5ème année c’est-à-dire, le Master II, la formation est gratuite pour toi».
Je n’en revenais pas car non seulement mon journal sera imprimé et j’obtiens du coup cinq ans de formation professionnelle gratuite. Très ému, j’ai pleuré. Ainsi, depuis 2008, j’ai achevé mes trois ans de formation professionnelle en journalisme et communication. Il m’en reste deux. En somme, voici mon histoire avec l’ISEG. Et je serai toujours reconnaissant au président Mamadou Diop et à la directrice Mme Aïssatou Seydi Diop. Que Dieu les bénisse. En réalité, je voulais devenir historien mais le président Wade a fait basculer mon destin dans le journalisme.
En tant que professionnel de l’information, quel diagnostic faites vous de la presse en général à Tambacounda ?
La presse locale fait du bon travail même s’il faut reconnaître que les correspondants n’ont pas assez de moyens. Je trouve très pertinent l’initiative de créer un site web comme « tambacounda.info » pour désenclaver la région au plan de la communication. C’est le lieu de féliciter son promoteur en lui assurant que le meilleur reste à venir.
Vous êtes l’auteur du livre : «Enregistrement des naissances à l’état civil : Mon engagement pour le bien-être de l’enfant», qui doit paraître aux Editions Salamata à Dakar vers la fin 2011. Pouvez-vous nous faire le résumé de cet ouvrage ?
Ce livre est le prolongement de mon mémoire de fin d’études pour l’obtention du Diplôme Supérieur en Journalisme et Communication. Par la grâce d’Allah, j’ai obtenu la mention bien avec les félicitations du Jury qui m’a suggéré d’approfondir mes recherches sur le sujet afin de publier un livre sur la problématique. Je demeure convaincu que si la déclaration des naissances n’est pas en soi une garantie d’éducation, de santé, de protection, d’épanouissement… son absence est plus que périlleuse. La preuve, un adulte sans pièce d’état civil est d’office privé de passeport pour voyager, d’un emploi reconnu, de se présenter aux élections ou de voter, de contracter un mariage légal, d’ouvrir un compte en banque… Quelle catastrophe… ? La sensibilisation s’impose pour une prise de conscience collective. C’est l’objectif de cet ouvrage qui va bientôt paraître aux Editions Salamata à Dakar. J’ai aussi d’autres ouvrages en gestation dont un roman.
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire un essai sur l’enregistrement des naissances à l’état civil ?
Les raisons qui m’ont incité à écrire cet ouvrage sont multiples. Faut-il soulignerqu’au Sénégal, chaque année, de brillants élèves sont renvoyés de la classe de CEM 2, faute de pièce d’état civil. Je trouve que c’est grave, sachant que le gouvernement alloue 40% de son budget de fonctionnement à l’Education. Il faut aller vers la modernisation des centres d’état civil au Sénégal pour réduire la fracture numérique (une volonté du Président de la République) mais surtout mettre un terme à la marginalisation de certaines couches de la population sénégalaise. Une personne qui n’a pas de pièce d’état- civil, n’existe pas aux yeux de la loi. Ce qui est inadmissible.
Cette année, vous êtes aussi lauréat du Prix journaliste militant des Droits de l’enfant, le 16 juin 2011. Que vous inspire cette distinction ?
L’Association des journalistes et communicateurs pour l’enfance m’a décerné, le 16 juin 2011, le Prix Journaliste militant des droits de l’enfant. Lors de la réception du Prix au Centre Blaise Senghor, en présence du ministre du Tourisme Thierno Lô, je disais que cette distinction m’allait droit au cœur. Ce que ces journalistes font, consiste à valoriser l’action de modestes militants des droits de l’enfant, que nous sommes. Je ne cesserai jamais de les remercier.
Quels sont, selon vous, les problèmes les plus urgents à régler dans le domaine de l’éducation des enfants dans la région de Tambacounda?
L’Education est fondamentale. Car, l’ignorance est le véritable ennemi de l’homme. Toutes les nations développées dans le monde ont, sans conteste, fait de l’Education une sur priorité. Tambacounda ne peut pas se développer sans ses filles et fils. Mais qui parmi par eux ? Certainement les mieux instruits. Nos autorités locales doivent relever ce grand défi. Selon les informations dont je dispose, l’urgence dans ce domaine à Tambacounda est le maintien des enfants à l’école. Beaucoup d’élèves sont obligés d’abandonner les études faute de soutien. Des partenaires au développement comme l’USAID font un travail remarquable pour le maintien des filles à l’école. Reporter au quotidien national Le Soleil, j’ai couvert plusieurs activités de cette Ong dans ce sens. Nos étudiants aussi doivent davantage être soutenus par nos autorités locales. Nombreux sont les étudiants ressortissants de Tambacounda qui désertent l’université car n’ayant pas de logement ou de bourse. Il faut que nos autorités comprennent que former un jeune, c’est investir pour l’avenir.
Vous êtes aussi l’initiateur et le Directeur de publication du journal «REZO» et du site « rezomultimedia.com ». Quelles sont vos motivations?
Vous savez le mensuel «Rezo» (Racines et Emergences du Sénégal Oriental) existe depuis 2005. Il s’appelait «L’Echo de Tamba». A la faveur d’un découpage administratif, le département de Kédougou est devenu une région. Or, notre ambition consiste à parler du Sénégal Oriental, c’est-à-dire des deux régions Tambacounda et Kédougou. Il fallait revoir l’appellation du mensuel. J’ai crée au mois de mai 2011 une société dénommée le Groupe de Communication Alkuma qui est composé du mensuel REZO, d’une agence de Communication Alkuma et du site d’informations générales : www.rezomultimedia.com. Je demeure, plus que jamais, convaincu que les régions de Tambacounda et de Kédougou ont besoin d’instruments de communication autour des enjeux du développement et de relais de leurs richesses. Car, les champs et le sous-sol de ces régions renferment des richesses aptes à créer les conditions de l’émergence économique, du progrès social et culturel. Les hommes et les femmes qui affrontent, au jour le jour, les défis du développement, auront un canal pour favoriser une émulation, cerner les enjeux et dégager les perspectives de la zone orientale du Sénégal.
Quels sont vos rapports avec les ressortissants tambacoundois de Dakar et de la diaspora ? Et quel rôle peuvent-ils/elles jouer en faveur de Tambacounda ?
Pour être sincère, je ne connais pas beaucoup de cadres ressortissants de Tambacounda. Toutefois, j’entretiens de bons rapports avec ceux que je connais. Dois-je rappeler que j’ai fait une bonne partie de ma scolarité à Thiès où j’ai obtenu tous mes diplômes, excepté le CFEE. Journaliste au quotidien national Le Soleil, j’ai rencontré un jeune artiste tambacoundois résidant à Genève. Il s’appelle Ousmane Dia et organise une grande rencontre culturelle et artistique «TDG». Nous entretenons d’excellentes relations, et je témoigne qu’il reste une valeur sûre pour Tambacounda. Mieux, il est une référence pour moi. D’autres amis de la Diaspora comme Mouhamed Taméga m’ont appelé récemment pour me féliciter. Des cadres comme Lamine Kallo, Ibrahima Bâ…sont aussi des amis.
Quel est votre regard sur la génération des 20-40 ans à Tambacounda et quels espoirs fondez-vous dans la relève ?
De façon générale, je place beaucoup d’espoir dans la jeunesse. Les premières richesses d’une localité, ce sont les jeunes. Heureusement, les jeunes de Tambacounda en sont très conscients. Nous avons une chance avec la génération des 20-40 ans. Elle est instruite, consciente et très engagée pour l’émergence de leur territoire. Il faut une solidarité intergénérationnelle pour lui permettre de relever les défis qui lui sont assignés. Je reste optimiste. Par ailleurs, il faut qu’on puisse déceler en nous, jeunes de Tambacounda, des valeurs cardinales telles que l’amour du travail, la loyauté et surtout la discipline. Sans oublier d’adopter «l’éthique comme la mesure de toute chose» pour m’exprimer comme le Juge Kéba Mbaye.
Quelles sont les personnalités politiques ou de la société civile qui vous inspirent de la confiance, que vous croyez capables de convaincre les Tambacoundois et de jouer un rôle positif pour leur région après 2012 ?
Toutes les personnalités m’inspirent confiance. Ma philosophie consiste à travailler c’est-à-dire, m’acquitter de mes devoirs vis-à-vis de ma famille, de mon territoire, voire de mon pays. Je tâcherai d’avoir des relations basées sur le respect et la confiance avec les filles et fils du Sénégal Oriental. Je demande aux politiques d’être davantage généreux à l’égard des jeunes. Les billets de 2000 F Cfa et de 5000 F Cfa ne peuvent pas résoudre les problèmes de la jeunesse. Il faut des projets pour créer des emplois.
Quelles garanties crédibles, selon vous, ces personnes peuvent-elles offrir ?
Je crois qu’elles sont conscientes de leurs devoirs. Les générations actuelles et futures jugeront tout le monde à travers des actes. C’est le tribunal de l’histoire. Il est difficile de faire confiance aux hommes politiques dans la mesure où, disent-ils ««nos promesses n’engagent que ceux qui y croient». Toutefois, il urge que les jeunes s’impliquent dans la chose politique pour être dans les sphères de décision afin de mieux défendre leurs projets.
Quelles sont vos ambitions professionnelles ?
Mes ambitions professionnelles consistent à mettre en place un grand groupe de presse avec une imprimerie moderne implantée à Tambacounda. Au-delà de la presse, je rêve investir dans l’agriculture. J’aime cultiver la terre. C’est mon rêve, et je prie Allah le Tout Puissant de m’aider à le réaliser. Je demeure convaincu que l’agriculture peut nous aider à lutter efficacement contre le chômage des jeunes, et à créer beaucoup de richesses.