[SOUVENIR] Il y a 52 ans M. Jean-François Dupon foulait le sol Tambacoundois « Je n’oublierai jamais mon voyage de nuit vers Tambacounda par le Dakar-Niger … »

« Toute mon admiration pour Mother Africa, déclenchée par ce premier contact avec elle, à Tambacounda, il y a un demi siècle… »

Étudiant en Géographie à Paris en 1960 et décidé à se spécialiser dans les pays tropicaux, Jean-François Dupon 24 ans à l’époque s’est porté volontaire pour venir préparer mon mémoire de maîtrise au Sénégal. Les professeurs du département de géographie de l’Université de Dakar à l’époque Assane Seck, Paul Pélissier (décédé en 2010) et Suzanne Daveau ont décidé de l’envoyer étudier la ville de Tambacounda. C’est ainsi qu’il a passé plusieurs mois à Tambacounda à étudier tous les aspects de la capitale du Sénégal oriental qui avait alors comme il le dit « un peu des aspects de ville du Far West ». Remontons le temps avec M. Dupon en texte et images..

  1. Monsieur Jean-François Dupon, pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de tambacounda.info ?

Je suis retraité. J’ai 76 ans et j’habite prés de Périgueux, dans le sud-ouest de la France. J’ai partagé ma vie active entre l’Université, où j’étais professeur (à La Réunion, au Togo, à Aix-en-Provence) et l’IRD (Institut de Recherches du Développement – ex ORSTOM), où j’étais directeur de recherches, principalement dans le Pacifique Sud et au Mali. Je suis marié (depuis cinquante ans). J’ai deux fils et trois petits-fils.

  1. Il y a un peu plus d’un demi siècle, vous étiez à Tambacounda pendant plusieurs mois. Quelles circonstances vous ont amené dans la capitale Orientale?

A la rentrée de 1960, étudiant en Géographie à L’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud et à la Sorbonne, le moment était venu où je devais entamer la préparation de ce qui s’appelle aujourd’hui un Master. Comme je voulais me spécialiser dans l’étude des pays tropicaux, j’ai été volontaire pour partir préparer mon mémoire en Afrique, ce qui était assez rare à l’époque. J’ai eu la chance d’être envoyé au Sénégal. Une fois sur place, le professeurs du département de Géographie de l’Université de Dakar qui m’ont accueilli, le regretté Paul Pélissier, grand spécialiste du monde rural sénégalais et grand ami de votre pays, et son collègue et ami, Monsieur Assane Seck, qui devint plus tard Ministre d’un de vos gouvernements, me conseillèrent d’étudier la ville de Tambacounda. Les multiples changements induits par l’Indépendance récente et l’évolution de l’économie arachidière devaient rendre très intéressante l’étude de cette capitale régionale, carrefour des courants de navétanes, les travailleurs de l’arachide. Je suis parti sur le terrain après deux semaines de documentation et d’acclimatation à l’Université de Dakar.

  1. Les conditions d’accueil que vous avez trouvées à Tambacounda à cette époque ont-elles été favorables pour mener vos études?

Je n’oublierai jamais mon voyage de nuit vers Tambacounda par le Dakar-Niger, l’odeur puissante et chaude de la brousse et de ses feux qui m’arrivait par la fenêtre du wagon et l’arrivée dans la fraîcheur du petit matin. Pour quelqu’un de mon âge, c’était la Liberté et l’Aventure qui m’accueillaient. Mais les Tambacoundais m’ont très bien accueilli aussi : un ingénieur des Travaux Publics très sympathique m’a logé dans une maison de passage des T.P. Le nouveau Commandant de Cercle m’a reçu courtoisement. J’ai organisé peu à peu ma vie matérielle et mes enquêtes, je me suis fait des amis. J’ai été invité dans des réunions des coopératives qui remplaçaient le commerce de traite.Tout s’est bien passé et c’était passionnant. J’ai passé environ six mois sur place, coupés par un mois à Dakar pour le stage pédagogique au Lycée qui se faisait à l’époque pendant l’année précédant le concours de l’agrégation.

  1. Aviez-vous lié des amitiés avec des tambacoundois à cette époque ? Si oui, pouvez-vous nous citer des noms ?

Bien sûr. Des commerçants, des interprètes qui m’aidaient dans mes enquêtes, des guides (car j’avais à faire un mémoire complémentaires de géographie physique sur les alluvions de la Gambie dans la zone du Niokolo Koba où je suis allé plusieurs fois grâce aux gardes forestiers). Les postiers aussi étaient mes amis – car Internet n’existait pas, je n’avais pas le téléphone : il fallait écrire à ma fiancée restée à Paris, à mes parents, à mes professeurs. Il fallait aller chercher son courrier à la Poste. J’avais aussi un couple des voisins très gentils. Le mari, un grand chasseur de pintades sauvages, était d’origine antillaise et sénégalaise et la dame était de Saint-Louis. Il avaient toujours de bonnes choses à me faire goûter. Je crois que ce sont eux qui m’ont appris à aimer le piment très fort. Donc de nombreuses relations, toujours cordiales, mais qui, hélas, n’ont pas été durables puisque la vie m’a ensuite entrainé très loin et pour longtemps du Sahel. Si je suis incapable aujourd’hui de citer des noms, que j’oublie vite en général, je me souviens très bien des visages.

  1. Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre séjour à Tambacounda à cette époque ?

J’avais passé une partie de mon enfance au Maroc, mais Tambacounda était mon premier contact avec l’Afrique subsaharienne et je l’ai découverte par tous mes sens : les couleurs, les odeurs, les goûts, les sons (la kora, le balafon, les puissantes percussions), et la noblesse, et la beauté, et la jeunesse et l’inépuisable vitalité. J’ai retrouvé par la suite toutes ces premières impressions – toujours les plus fortes -, chaque fois que je suis revenu en Afrique. Mais plus jamais elles n’ont eu la puissance et la fraîcheur qu’elles avaient eues à Tambacounda. C’est la vie.

  1. Avez-vous rencontré des obstacles à cette époque pour vous intégrer car nous osons imaginer qu’il n’y avait pas beaucoup d’Européens à Tambacounda?

Bien sûr, l’obstacle de la langue dans mes enquêtes, dans des quartiers où des ruraux fraîchement installés parlaient peu le français. Autrement, j’ai toujours été accueilli cordialement, même lorsqu’on me prenait à témoin dans des discussions pour dénoncer les aspects négatifs d’une colonisation qui s’achevait : l’indépendance ne datait que de quelques mois et la guerre d’Algérie battait encore son plein. Il y avait alors une dizaine d’Européens et de Libanais à Tambacounda, dont deux gardes forestiers et un missionnaire hollandais. Les quelques Français restant étaient les agents de trois des six compagnies commerciales coloniales concurrentes (CFAO, NO.SO.CO, V.Q. Petersen, Chavanel, Maurel et Vézia). Leur monopole de la traite de l’arachide était bousculé par les structures coopératives mises en place par le nouveau gouvernement sénégalais. Certaines y avaient  déjà renoncé et tentaient de se reconvertir. L’ambiance était à l’expectative et l’humeur plutôt morose.

  1. Comptez-vous retourner un jour à Tambacounda pourquoi pas mettre vos compétences au service du développement de cette région?

Après Tambacounda, les circonstances (service militaire) m’ont vite conduit à La Réunion, et c’est là que j’ai commencé ma carrière universitaire. J’y suis resté longtemps pour préparer ma thèse d’Etat sur les archipels de la région. Ce n’est que dix ans plus tard que j’ai pu retrouver l’Afrique à l’Université de Lomé. Mais j’ai dû alors rentrer en France pour y prendre un poste à Aix-Marseille, et très vite je suis à nouveau reparti vers de nouveaux tropiques encore plus lointains, et pour longtemps. Peu avant la retraite, j’ai demandé à revenir en Afrique et j’ai eu la chance de représenter l’IRD à Bamako pendant mes dernières années d’activité. Maintenant, je travaille bénévolement pour une association française, AGIRabcd (www.agirabcd.org). Je vais chaque année enseigner, surtout le français langue étrangère, dans un pays différent. En 2010, j’ai eu la chance d’aller faire un séminaire à l’Université francophone Léopold Sedar Senghor d’Alexandrie, en Egypte, à des étudiants avancés d’Afrique francophone. Mais je sens que la vieillesse s’approche maintenant. Je doute de pouvoir continuer longtemps ce bénévolat et d’avoir l’occasion de revoir Tambacounda un jour, même si les desseins de Dieu sont impénétrables. Quant à servir au développement du Sénégal oriental, votre belle région a heureusement bien mieux qu’un vieux pépé pour cela : la compétence, les talents et la maturité de sa population.

  1. Connaissez-vous des ressortissantEs tambacoundoisE en France? Si oui quels sont vos rapports

Non, hélas. Je ne crois pas en avoir jamais rencontré.

 

  1. Quel est votre regard sur la nouvelle génération Tambacoundoise et quels espoirs fondez-vous dans la relève ?

De ce qui précède, vous pouvez conclure qu’il m’est difficile d’avoir un avis autorisé, puisque je n’ai pas de rapports directs avec la nouvelle génération, sauf en de rares occasions comme à Alexandrie où les étudiants africains de dix nationalités différentes, déjà diplômés d’université, m’ont impressionné. Á travers un site comme le vôtre, à travers ses rubriques et sa conception, je perçois aussi combien les potentialités de cette nouvelle génération sont grandes. Je note, comme je l’avais déjà noté à Bamako il y a près de quinze ans, comme je l’ai noté plus récemment à Kampala (2006) et à Alexandrie (2010) lors de mes enseignements bénévoles en Afrique, avec quel enthousiasme, quel appétit et quelle compétence elle a pris possession des nouveaux outils de la communication, et pour le meilleur. C’est dire que je fonde de grands espoirs dans la relève, et plus que des espoirs, des certitudes. Ce sont celles qui confortaient il y a longtemps déjà contre l’afro-pessimisme mon collègue Paul Pélissier quand il observait le dynamisme des diasporas africaines, le savoir-faire de vos agriculteurs, le talent de vos Diollas, les facultés d’adaptation de vos Mourides, la technicité de vos élites scientifiques. Songez à cet astrophysicien de niveau international devenu récemment Premier Ministre du Mali… Et que dire des extraordinaires capacités de survie développées par les masses encore déshéritées de votre continent, illustrées par la vitalité du secteur informel de vos villes ?

  1. Votre dernier mot ?

Courage Mère Afrique ! Courage vieux Sénégal pourtant si jeune ! Étonnez-nous ! Enchantez-nous !