Crinière au vent, l’homme était facilement reconnaissable à ses longs dreads-locks qu’il arbore fièrement depuis le début de sa carrière professionnelle en Belgique dans les années 80. Comme El hadji Ousseynou Diouf après lui, dont il aura marqué la génération d’une trace indélébile, Jules François Bocandé a symbolisé pendant plusieurs années l’espoir et l’ambition d’une jeunesse en manque de dépassement en une période où l’air du temps est vicié par un environnement sociopolitique dont les horizons semblent sans lendemain. L’équipe nationale de football dont la phase de reconstruction, initiée quelques années auparavant, est en passe de produire ses fruits. La génération talentueuse détectée par l’allemand Otto Pfister au début des années 80 est à un doigt de l’exploit, une qualification historique à la prestigieuse Coupe d’Afrique des Nations (Can) à laquelle le Sénégal n’a plus participé depuis 18 ans. Mais les Roger Mendy, Thierno Youm, Racine Kane, Boy Bandit, Cheikh Seck, Oumar Guèye Sène et autres Boubacar Sarr Locotte, malgré leur jeu fluide et plaisant, manquent d’un véritable goleador qui sait se faire décisif dans les grands moments. Or, en Belgique, un Sénégalais s’illustre par sa puissance, sa technique, son sens du but et sa « gnac », comme on dit de nos jours. Seulement voilà, cet attaquant de race a été suspendu à vie par la Fédération sénégalaise de football (Fsf) pour avoir agressé un arbitre durant la finale de coupe du Sénégal de la saison 1980.
L’histoire d’une destinée particulière
En 1979, le Casa Sports remporte sa première coupe nationale avec une équipe aussi solide que joueuse. Dans l’équipe des Teuw, Demba Ramata (actuel entraîneur du Casa Sports), les frères Ndiaye, Ousmane « Compliqué » et Badou, un jeune joueur qu’on a dû surclasser en sénior, au tempérament de feu : Jules Bocandé. L’année d’après, les revoilà encore en finale de la coupe du Sénégal face à la Jeanne d’Arc des Koto (entraîneur adjoint de l’équipe nationale), Roger Mendy et Baba Touré, entre autres. Bakary Sarr, qui officiait la rencontre entre le club de la capitale et le club fanion de la région sud du pays, tire un pénalty contre le Casa Sports qui chauffe les esprits. Pour les calmer, il distribue des cartons en veux-tu, en voilà et la rencontre dégénère. Il s’en suit une vive échauffourée et Bocandé, emporté par sa fougue de jeunesse, enlève sa godasse et en assène un coup sur la tête de l’arbitre. Il sera suspendu à vie par la Fsf pour ce vilain geste. On croit alors la carrière de ce jeune, au talent si prometteur, finie. Un de ses oncles, qui croit en son talent, l’emmène alors en Belgique où il se fait vite son trou dans le football professionnel. Au point que lorsqu’il explose, enfilant but par but, il n’est plus possible de faire la sourde oreille à ce talent dont le pays a tant besoin et qu’il réclame pour, enfin, retourner dans la cour des grands du football africain. Le peuple le réclame et Boc, comme on l’appelait familièrement, est gracié.
Boc, le sauveur
En cette année 1985, le Sénégal doit jouer son va-tout contre le Zimbabwé à Dakar et doit gagner par deux buts d’écart au moins pour se qualifier. L’équipe déroule un jeu de rêve et Bocandé se charge du reste : il fait un hat-trick, un triplé avec des buts aussi spectaculaires que techniques. Le Sénégal tient sa nouvelle idole. C’est cette équipe qui battra en match d’ouverture au Caire, en 1986, le pays organisateur, l’Egypte. L’aventure n’ira, paradoxalement, pas plus loin et l’équipe est éliminée dès le premier tour. Mais Bocandé poursuit son bonhomme de chemin. Lorsqu’il débarquait au Caire, il était déjà meilleur buteur du championnat de France et, malgré la pause forcée due à la Can, il sera le meilleur buteur de cette saison avec 25 buts, le premier Sénégalais avant Mamadou Niang et Moussa Sow.
Boc, le grand frère
Sa carrière finie, Bocandé se voit confier les rênes de l’équipe nationale et parvient au stade des quarts de finale de la Can. Il n’y fera guère que deux ans, son franc-parler contribuant à lui faire des ennemis dans le milieu du foot sénégalais. Il revient sous l’ère Metsu, lors de l’épopée de 2002 qui conduisit le Sénégal en finale de la Can et en quarts de finale de la Coupe du monde au Japon. C’est lui qui était chargé de la détection des joueurs, mais surtout de leur mise en condition psychologique. Il leur communiquera toute sa rage de vaincre qui fut une marque de fabrique de cette équipe. Ses jeunes, dont il fut le modèle, lui vouent une admiration et un respect qui les force à se sublimer sur le terrain, malgré la mauvaise réputation de leur idole. On le revoit encore trépigner sur le banc de touche durant les matchs, quoiqu’il ne fut pas l’entraîneur attitré.
Jules François Bocandé aura tout donné au football de son pays, autant sur le terrain qu’en dehors. Malgré son tempérament de feu qui le poussait à réagir au quart de tour, l’homme était connu pour son côté attachant et, parfois, gouailleur. Il n’avait pas sa langue dans sa poche, ce qui pouvait l’entraîner à des excès de langage, mais on lui connaissait un gros cœur. Le monde du foot africain l’a honoré en au rang des légendes africaines. Adieu, cœur de lion !
Babacar Guèye (avec Li Khew)