Une alléchante offre d’emploi à La Réunion lui a servi de prétexte pour voler à des chômeurs leurs pièces d’état-civil afin de la monnayer ensuite en métropole à des sans-papiers: un escroc aux multiples identités a été arrêté cette semaine dans l’Essonne. Surnommé «Junior», ce Comorien illettré âgé d’une quarantaine d’années n’a pas manqué d’aplomb lorsqu’il s’est présenté en janvier 2013 à Pôle emploi comme un chef d’entreprise, bien décidé à embaucher une vingtaine de personnes.
Il revendait leur identité à prix d’or
Près de 200 chômeurs lui ont fourni leur CV mais ont aussi accepté de donner des photocopies de leurs livrets de famille et actes de naissance. Des pièces qu’il revendait ensuite au prix fort – jusqu’à 6000 euros, 7320 francs – à des sans-papiers africains de la région parisienne qui pouvaient alors déposer un dossier en mairie ou à la préfecture, en usurpant l’identité du demandeur d’emploi, pour obtenir indûment une carte d’identité. Étonné de la disparition du «chef d’entreprise» quinze jours après le début des entretiens, Pôle Emploi alerte l’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers sans titres (Ocriest). Une information judiciaire est ouverte en décembre et les policiers répertorient 28 cas de dépôts de demandes frauduleuses de cartes d’identité dont six ont abouti à la remise du document.
Mis sur écoute
Le numéro de téléphone donné lors des différents dépôts de dossier est alors mis sur écoute par les enquêteurs, qui identifient «Junior» comme la tête d’une filière d’aide au séjour irrégulier. Près de 120 heures de conversations téléphoniques sont épluchées par les enquêteurs qui parviennent à cerner les complices de l’escroc, connu sous plusieurs identités et condamné pour des faits similaires en 2007 à Cayenne. Ses deux lieutenants, un Angolais surnommé «Papeli» et un Ivoirien, «Ismaël», lui prêtent main forte pour maquiller des documents visant à compléter les dossiers, des fausses quittances de loyer ou des fausses factures EDF. Des rabatteurs chassent «le client africain» près de la gare du Nord à Paris.
Un délit passible de dix ans de prison
Lorsque «Junior» ou l’un de ses complices accompagne un «client» à la mairie, les policiers mettent également en place des surveillances pour matérialiser l’aide au séjour irrégulier, un délit passible de dix ans de prison. Lundi, à «l’heure du laitier» soit 6 heures, une trentaine de policiers ont interpellé en région parisienne huit personnes soupçonnées dont les trois principaux protagonistes. Dans un studio miteux de Viry-Châtillon (région parisienne), Junior, ouvre de mauvaise grâce la porte. Dans la salle de bains, un sac de voyage: près de 120 documents d’identité, dont une moitié appartenant à des demandeurs d’emploi de la Réunion et une dizaine de sa précédente escroquerie en Guyane. A l’instar de ses deux complices, Junior est placé en garde à vue dans les locaux de l’office à Lognes (région parisienne).
La véritable identité de Junior reste un mystère
Tous ont reconnu les faits. «Le nombre d’identités usurpées n’est pas encore établi mais cette structure était potentiellement très nuisible car elle permettait d’obtenir facilement un titre d’identité», a expliqué Christian Duc, chef d’état-major de L’Office central pour la répression de l’immigration irrégulière et de l’emploi d’étrangers (OCRIEST). Aucune espèce n’a été retrouvée. Les enquêteurs ne parviendront peut-être jamais à connaître la véritable identité de Junior, impossible alors de remonter à un compte bancaire. Déférés mercredi, les trois hommes ont été mis en examen jeudi pour obtention frauduleuse de document administratif et aide au séjour irrégulier en bande organisée, et placés en détention provisoire.
Cinq autres personnes également interpellées dans cette affaire ont été libérées. En 2013, l’Ocriest a démantelé 203 filières d’immigration irrégulière en France, impliquant 1470 personnes, contre 178 en 2012. Parmi ces filières, 82 avaient plus particulièrement recours à la fraude documentaire.