Depuis plus d’une décennie, Lassana Diallo a perdu l’usage de ses yeux. Tous ses mouvements s’effectuent avec l’aide d’un guide, et pourtant il est mécanicien à Bakel. Frappé par le glaucome, il parvient néanmoins à démonter et monter des moteurs et à les réparer.
La cinquantaine bien sonnée, Lassana Diallo est un aveugle qui fait des travaux de mécanique. Ses yeux rouges grandement ouverts donnent parfois l’impression d’une vision bien normale, mais l’apparence est bien trompeuse. Car le personnage ne voit rien. Même ses mouvements, il les effectue en s’aidant d’un guide. Cela fait déjà plus d’une décennie que le glaucome l’a frappé. Cette affection oculaire, due souvent à une montée de la pression oculaire, et qui atteint le nerf optique des personnes âgées de plus de 45 ans, l’a atteint à la force de l’âge. Néanmoins, son rêve de devenir un grand réparateur de véhicules à moteur, offrir un emploi à des jeunes, ne l’a pas quitté, même s’il a subi un sacré coup. Aujourd’hui malgré cette maladie, il exerce «convenablement» son métier. Il est assisté par ses apprentis et par des amis qui fréquentent l’atelier. En ce lundi matin du mois de juillet, le soleil darde ses rayons au quartier Ndiayega III. Bakel et ses environs vivent sous un ciel menaçant. A un jet de pierre de la Place de l’indépendance où se tiennent les grandes manifestations de la ville, se situe le bureau de poste. A quelques pas de là, un atelier mécanique. A l’intérieur, des motos abandonnées par leurs propriétaires sont couvertes de poussière, un groupe électrogène, une petite bicyclette, des moteurs et autre matériel complètent le décor. La caisse de clés, tournevis et instruments, à moitié pleine, est placée à l’entrée. Les 4 parties des murs peints en jaune servent de bottin téléphonique. Des numéros téléphoniques sont mentionnés un peu partout à l’aide d’un morceau de charbon. Cheveux poivre et sel, tache du croyant sur le front, une moustache et une barbe mal rasées, Lass comme l’appellent affectueusement ses intimes, se déplace précautionneusement pour éviter les obstacles sur son chemin. Autour du thé, lui, deux de ses enfants, son apprenti et deux amis, causent en attendant l’arrivée de l’éventuel client. Pour un profane, voir un aveugle démonter ou remonter des pièces d’un engin cela relève d’un petit prodige. Mais pour l’intéressé, cela n’a rien d’extraordinaire pour quelqu’un qui n’a pas perdu toutes ses facultés physiques et mentales. A la question de savoir, comment il parvient à s’acquitter de ce travail sans rien voir, il répond par un sourire. Avant de faire savoir que «l’œil est un miroir mais il y a quelque chose qui est plus utile que celui-ci, c’est l’esprit. Avant la maladie j’avais déjà tout en tête». Il avoue que pour réparer une automobile, il a juste besoin d’un indice. La personne qui est à ses côtés le lui fournit. L’essentiel est de lui dire ce qu’il a besoin de savoir sur l’emplacement du défaut.
Les tout débuts de la manifestation de la maladie
Les premiers signes du glaucome se sont manifestés chez lui, l’année 1999. En ce moment, il avait déjà assimilé presque les arcanes du métier. «Au départ, je pouvais voir jusqu’à 3 mètres», se remémore-t-il. En 2004, les dernières lumières laissent définitivement la place aux ténèbres. Pourtant, dit-il, il a dépensé ses maigres moyens pour se soigner au Centre Bopp, à l’hôpital général de Grand Yoff, en vain. Les médecins ont pu détecter la maladie sans parvenir à le débarrasser de ce mal qui le ronge. Toujours dans la volonté de recouvrer sa santé, il n’a pas hésité à se rendre auprès des guérisseurs traditionnels. Même résultat. Dans des circonstances pareilles, souligne-t-il, certains individus préfèreraient mettre fin à leurs jours. La plupart du temps, après un accident ou autre malheur, des gens se suicident ou s’immolent par le feu. Mais Lassana Diallo, lui n’a jamais imaginé ces scénarios. Sa foi en Dieu lui a été d’un grand secours. Il dit : «Ce qui m’a aidé, c’est ma croyance en Dieu. Walahi, je n’ai jamais pleuré pour ce qui m’est arrivé, j’ai toujours espoir qu’un jour je vais recouvrer ma santé».
Les douloureux souvenirs de Lass
Alors, il a pris son courage à deux mains et ouvert son atelier pour gagner sa vie au lieu d’aller quémander à gauche et à droite. Ce marié et père de 4 bouts de bois de Dieu a trimé avant de voler de ses propres ailes. Il dit avoir tout fait pour faire plaisir à son patron. Ses camarades apprentis et lui arpentaient des kilomètres pour aller cultiver le champ de la maman de leur boss. Lui en personne, puisait de l’eau pour son patron. Et à un moment donné, il s’est même substitué aux épouses du sieur. Lass était chargé d’amener son eau de bain dans les toilettes, tous les jours. Des années, après cet épisode de sa vie, Lass a du mal à oublier certaines choses de la vie. Il tonne : «Lorsque j’ai été atteint de la maladie, la grande majorité de mes amis d’enfance qui ne me quittaient presque jamais auparavant, m’ont fui. Aujourd’hui, plusieurs d’entre eux passent leur temps à me dénigrer». Aujourd’hui, seul dans son atelier avec ses apprentis, Lassana Diallo espère et souhaite un appui des autorités, au premier chef, le Président de la République, Macky Sall. Il voudrait un coup de main dans l’acquisition de matériel pour mieux faire son travail. Ce féru du ballon rond est un fana de la musique du leader du Raam daan, Thione Ballago Seck. Supporter de l’équipe de France, en bon Sénégalais, il adore le thiébou yapp (riz à la viande).