
Témoin d’un passé glorieux de l’empire Baïnounk, qui allait de la Guinée Bissau en Gambie, Birkama sous le règne de Gana Sira Bana Biaye, a marqué l’histoire de la Casamance précoloniale. A 54 km de Ziguinchor, sur la rive gauche du fleuve Casamance, Birkama dans la commune de Djibanar est aujourd’hui un village qui manque de tout. Ou presque. «L’Obs» a effectué le voyage pour découvrir la première capitale de la Casamance.
D’abord nuancer l’histoire préconçue par la tradition orale. Comme Birkama (capitale de l’empire Baïnounk), Sédhiou (capitale du Pakao) ou Ndorna (capitale du Fouladou), chacune de ces localités peut se prévaloir d’être la première capitale de la Casamance. «Birkama, première capitale de la Casamance. C’est les Baïnounks qui défendent cette thèse», recadre d’emblée l’enseignant-chercheur, Abdoulaye Sidibé, qui rappelle après l’éclatement de l’empire du Gabou, plusieurs provinces de la Casamance ont obtenu leur souveraineté. «Quand il y avait Birkama, le Pakao existait et avait sa souveraineté comme le Fouladou avec Alpha Molo Baldé. La zone d’Oussouye avait aussi sa souveraineté. Dire que Birkama était la première capitale de cette Casamance naturelle, ça pose problème. Dans la mesure où tous les peuples, qui sont de l’autre côté en amont comme en aval du fleuve Casamance, ne sont pas des Baïnounks. A partir de ce moment, Birkama ne peut pas être la première capitale de la Casamance entière. Mais, Birkama peut être la première capitale d’une province Baïnounk bien délimitée dans la Casamance», explique Abdoulaye Sidibé.

Avec la tradition orale, qui est un terrain assez glissant, l’enseignant-chercheur sur le patrimoine immatériel de la Casamance rappelle que quand le conte de l’histoire passe d’une personne à une autre, l’information change de volume et elle peut être souvent tronquée ou biaisée. «De génération en génération jusqu’aujourd’hui, l’histoire qui est contée par la tradition orale, a connu une certaine difficulté de compréhension», rappelle M. Sidibé. Non sans préciser que l’état actuel de la recherche historique atteste que les premiers habitants de la Casamance sont les Baïnounks, qui ont fondé le royaume Kasanké. Les Kasankés sont les habitants du Kasa, vaste ensemble politique et géographique, sous la tutelle du Mansa (roi) de Birkama, Gana Sira Bana Biaye. Et d’ailleurs, le nom Casamance viendrait de l’expression Kasa Mansa (roi du Kasa). Cette province des Baïnounks avait comme capitale Birkama, était un immense territoire, dont les voisinages allaient jusqu’au Parc de Niokolo Koba à l’Est et jusqu’à une partie de la Gambie au Nord. D’après Abdoulaye Sidibé, des sources orales parmi les plus fiables reconnaissent que les Baïnounks constituent le peuplement aborigène ou le plus ancien de la Casamance. Ils habitaient le long des plus importants cours d’eau de la région. Leurs villages populeux étaient indépendants les uns des autres. Ils étaient composés de plusieurs sous groupes qu’on identifie par la grande diversité de leurs dialectes. «Si les Baïnounks sont les premiers occupants de la Casamance, Birkama peut donc être considéré comme la première capitale de la Casamance d’antan», dit-il.
«Les Baïnounks constituent le peuplement aborigène de la Casamance»

Aujourd’hui, un des 26 villages de la commune de Djibanar (département Goudomp, région de Sédhiou), Birkama n’a rien d’historique qui rappelle son passé de première capitale de la Casamance. Ce matin-là, le temps n’était pas clément. Ziguinchor et ses environs s’étaient réveillés sous un ciel menaçant. Après une nuit interminable, marquée par une chaleur suffocante, le réveil ne peut qu’être pénible. La douceur matinale qui étreint cette partie de la Casamance peut décourager tout visiteur, s’il n’est guidé par une force supérieure : celle, par exemple, de découvrir la première capitale de l’ancien royaume de la Casamance. Cap alors sur Birkama. Un village sur la rive gauche du fleuve Casamance, à l’Est de la commune de Goudomp, à 55 km de la ville de Ziguinchor, sur la Route nationale n°6, dont les ruelles quasi désertes accueillent sous une fine pluie. Difficile de trouver un interlocuteur, encore moins un guide. A l’entrée du village, sous un manguier au bord de la Rn6, deux hommes devisent. L’on nous oriente vers le patriarche de la maison, réputé connaisseur de l’histoire de la zone. «La première capitale de la Casamance, c’est Sédhiou. Il vous reste encore du chemin à faire. Ici, vous êtes à Birkama. Sinon allez voir le chef du village», oriente-t-il. Le «connaisseur» méconnaît Birkama et son passé historique. Inutile de poursuivre la conversation. Le chauffeur remet le turbo en marche. La chaleur est d’étuve, la canicule impitoyable sur la Rn6 qui conduit aux bâtisses en dur ou en argile aux toits en zinc ou en paille, qui décorent Birkama. Le calme est plat. Dans la centaine de maisons de ce village qui vient d’être électrifié, ni eau potable, ni case de santé, on vit étrangement et on se contente du minimum indispensable. Torse nue, dans la cours de sa maison, le regard du chef du village balaie les rizières, les plantations de manguiers et d’anacardes à mi-chemin d’une forêt touffue. Moussa Sadio peut dormir tranquille après une longue pose pluviométrique qui avait troublé son sommeil. «On était inquiet ces derniers temps pour nos cultures. Mais, depuis deux jours, le ciel a rouvert ses vannes et nous prions pour que ça continue», souffle-t-il. La soixantaine révolue, Moussa Sadio, qui a succédé à son défunt frère Youssouf Sadio, il y a de cela deux ans à la tête du village, apprend que depuis sa création, Birkama ne vit que d’agriculture, d’élevage, de pêche et de cueillette. «Nous ne savons pas la date exacte, mais nos aïeuls nous ont appris que Birkama a été fondé par le roi des Baïnounks, Gana Sira Bana Biaye. Il a fondé également deux autres Birkama en Gambie et en Guinée Bissau. Ce qui fait qu’il y avait trois Birkama qui constituaient le puissant empire Baïnounk dirigé par Gana Sira Bana Biaye», campe Moussa Sadio. Cet ancien guitariste du Groupe Kobone Sadio, polygame à deux épouses avec 11 bouts de bois de Dieu, n’aime pas trop s’aventurier sur le terrain glissant de la tradition orale. Toutefois, Moussa Sadio reste convaincu que si la thèse selon laquelle les Baïnounks sont les premiers occupants de la Casamance, alors Birkama peut être considéré comme la première capitale de la Casamance.
«La grève conjugale de 15 nuits des femmes pour s’opposer au sacrifice humain»

De la tradition orale, Abdoulaye Sidibé retient qu’anciennement assujettis à l’empereur du Mali, les Baïnounks vont s’émanciper de cette souveraineté. Ils vont, alors, former un puissant royaume qui dominera ses peuples voisons (les Diolas à cheval de l’embouchure de la Casamance, les Mandingues à l’Est, les Balantes au Sud-Est). Abdoulaye Sidibé : «Sous le règne de Gana Sira Bana, la confédération Kansaké deviendra un puissant empire. Pour administrer ce vaste empire, il va le subdiviser en trois grandes provinces, dont les capitales respectives vont porter le toponyme de Birkama. Kombo-Birkama (Gambie), Kasa-Birkama ou Nieloum Birkama (dans le Balantacounda actuel, Sénégal) et Biyago-Birkama en Guinée Bissau. Sous son règne, Gana Sira Bana va faire montre de sa volonté de rupture avec le passé. Il apporte des réformes profondes et radicales. Et c’est ces réformes qui seront les prémices du déclin de l’empire Baïnounk. Antérieurement à Gana Sira Bana, le système politique était matrimonial. Il le réforme pour adopter un système patrimonial. Il en fait autant pour le mode de succession au trône. Mais, le détonateur décisif du mécontentement populaire est la grève conjugale que les femmes ont administrée, pendant quinze nuits, à leurs maris. Cela fait suite au sacrifice macabre de trente trois (il y a plusieurs versions sur le nombre exact) plus belles filles de l’empire. Pour sauver son empire, de la domination coloniale et des estocades Balantes, il fallait faire cette offrande aux génies protecteurs de l’empire. Cette situation a créé une grande brouille entre le pouvoir impérial et les sujets. Le mécontentement général des sujets a affaibli, considérablement, le pouvoir impérial de Gana Sira Bana. La contingence des dissensions intestines et les convulsions rebelles des mandingues et des Balantes vont déboucher sur l’assassinat du dernier empereur Baïnounk, Gana Sira Bana Biaye».
Moussa Sadio en rajoute une couche : «Gana Sira Bana dirigeait son empire de mains de maître. C’était un grand roi qui avait des capacités de voir le futur avait vu l’arrivée des Colons. Il aurait dit à son peuple qu’il avait vu l’arrivée de gens à la peau blanche et pour éviter leur domination, il leur fallait faire un sacrifice de jeunes filles (sans donné le nombre exact). On le regardait désormais comme un roi sanguinaire. Un tyran. Ce caractère cruel ne devait pas prospérer d’après son peuple qui a jugé une telle décision inhumaine. Et ils ne lui ont pas donné le temps d’accomplir son sacrifice. Le peuple lui a ainsi tendu un coup pour se débarrasser de lui. C’est alors que le conseil secret s’est réuni, à son insu, pour constater que le roi devenait de plus en plus fougueux et sanguinaire. Le conseil décida alors de l’éliminer. Un piège lui sera tendu. Ils creusèrent un grand trou sous son trône, rempli de pics et couvert de paille. Le conseil l’invita à venir s’asseoir. C’est ainsi qu’il tomba dans le piège. Mais, au moment où les populations s’apprêtaient à l’ensevelir, il réapparut et leur dit qu’il savait ce qu’ils tramaient contre sa personne, mais qu’il l’a accepté de bon cœur. Il leur fait alors savoir qu’ils ont refusé de faire le sacrifice, mais ils seront maudits.» Cette version de l’histoire de Birkama comme première capitale de la Casamance, Moussa Sadio l’a reçue de ses aïeuls Balantes.
«On n’abandonnait nos lits pour aller dormir dans la brousse»

Ancien village Baïnounk, aujourd’hui Birkama est habité par un melting-pot socioculturel à dominante Balantes. «Ce plus grand village de la commune de Djibanar compte plus de 5 000 âmes, mais manque presque de tout. Le village a été électrifié cette année, mais nous n’avons pas d’eau potable. Pour nos malades, nous sommes obligés de parcourir, en moto-Jakarta ou charrette, plus de 3 km pour le poste de santé le plus proche, à Djibanar, chef-lieu de la commune», renseigne Moussa Sadio. Non sans fustiger que le plus grand village de la commune de Djinabar ne dispose pas d’un cantonnement militaire dans une zone minée par l’insécurité de la crise casamançaise et des attaques de bandes armées. «Comme plusieurs villages de la zone, Birkama a souffert de la crise casamançaise. Durant les années de braise on n’osait pas dormir chez nous. La nuit on n’abandonnait nos lits pour aller dormir dans la brousse. Parce qu’on était victime d’attaques et de cambriolages de bandes armées qui nous réveillaient pour nous dépouiller», apprend l’ancien guitariste, qui souligne que le village n’a pas encore bénéficié du Pudc, ni du Puma. Perdu sur la rive gauche du fleuve Casamance entre les communes de Goudomp et de Djibanar, le village de Birkama est laissé à lui-même. Telle une âme en peine !
FALLOU FAYE (TEXTE) ET CHEIKH NDIAYE (PHOTO) (ENVOYES SPECIAUX EN CASAMANCE) / iGFM /