Depuis maintenant plus de 10 ans, le Sénégal permet aux agriculteurs bénéficiaires de disposer d’engrais, de semences, et de matériels agricoles à des prix réduits. Un dispositif essentiel pour la sécurité alimentaire et la survie d’une population agricole très pauvre. Mais les efforts de l’Etat sont trop souvent contrariés par la corruption, le détournement par des individus sans scrupule et sans morale.
Reportage dans l’arrondissement de Makacolibantang où les choses changent grâce à la vigilance du sous-préfet. (Avec le témoignage du sous-préfet de Makacolibantang – M. Mbacké THIAM, du Directeur Régional du Développement Rural, M. Sada LY et de nombreux cultivateurs de la zone – dont les prénoms* ont été modifiés)
« Tout le monde les connait… »
Tout le monde sait. Tout le monde les connait. Les noms circulent. Mais on ne dit rien. Difficile de dénoncer celui ou ceux qui profitent du système sans en payer le prix tôt ou tard. Difficile de dénoncer dans une communauté où tout le monde est parent de tout le monde. Et où les « bandits » sont parfois couverts par des personnes d’influence. Malheureusement les faits sont là et se répètent chaque année.
Ces « Seï-Seï » qui travaillent contre l’Etat et contre leurs parents
Prévue au départ pour les petits cultivateurs (moins de 5 hectares), une partie des intrants subventionnés est détournée chaque année par un certain nombre d’individus qui profitent de leur pouvoir, de leur fonction ou de certaines connaissances pour « se faire de l’argent sur le dos de l’Etat et des petits paysans ». Des locaux qui n’ont aucun état d’âme à « manger » à la place de ceux qui ont faim. ‘’ C’est difficile, mais que faire ? », témoigne Issakha* qui l’année passée n’avait pas réussi à acheter d’engrais subventionné. « Moi, j’avais du acheter des engrais d’arachides plus de 10 000 chez XXXXXXX qui avait réussi grâce à ses passe-droits à s’en procurer plusieurs dizaines » témoigne à son tour Mamadou*. « Les années passées, certains acheteurs se présentaient avec des dizaines de cartes d’identité et on leur remettait alors des dizaines de sacs » confirme Cheikou*. Et que dire de ces contrebandiers et convoyages nocturnes : des dizaines de sacs payés à moitié par l’Etat et qui partent en Gambie où ils seront vendus 3 ou 4 fois plus chers.
« La distribution associe les services de l’Etat à la société civile »
Une situation que n’ignore pas Sada Ly, le Directeur Régional du Développement Rural basé à Tamba : « Nous sommes conscients des risques de détournement par certains individus malhonnêtes et avec les agents et les services de l’Etat (sous-préfet, douane, gendarmerie, service des Eaux et Forêt…) nous mettons tout en oeuvre pour y remédier. Mais nous ne pouvons pas tout faire et il est aussi de la responsabilité de nos citoyens d’agir et de dénoncer ceux qui ne respectent pas la loi. » Et le Directeur Régional d’expliquer en détail le dispositif et les responsabilités des uns et des autres. « Pour la région de Tamba par exemple, nous avons exprimé il y a quelques mois nos besoins en semences, engrais et matériels au Ministère, sur la base des statistiques de la saison dernière. Le Ministère en concertation avec une commission mixte nationale a attribué à chaque région une enveloppe financière. Une fois l’enveloppe financière reçue, le Gouverneur de la région de Tamba a mis en place à son tour une commission mixte qui a fixé la répartition par département. Et ainsi de suite pour chaque préfet de département et pour chaque sous préfet de commune ou de communauté rurale.
Campagne de distribution réussie grâce à la vigilance du sous-préfet
« Au niveau de l’arrondissement de Makacolibantang, une fois le quota attribué, nous avons mis en place une commission sur la base de l’arrêté envoyé par le préfet du département », explique Mbacké THIAM, le sous-Préfet. Une commission présidée par lui-même et composée du Maire, de représentants des jeunes, des femmes et des organisations paysannes sans oublier les services de l’Etat. « C’est cette commission qui a eu la charge de déterminer les critères et les conditions de distribution », poursuit le sous-Préfet.
« Ainsi, après avoir reçu et controlé les quotas convoyés par les opérateurs agréés par l’Etat, nous avons veillé conformément à l’esprit de ce dispositif étatique que les intrants profitent réellement aux plus nécessiteux : les petits cultivateurs cultivant au maximum 2 hectares. Exit les gros propriétaires et les GIE. De même, nous avons veillé à tenir une liste pour permettre une vraie traçabilité des bénéficiaires. Et à ne distribuer les sacs qu’aux cultivateurs munis de leur seule carte d’identité. » Autant de règles strictes (inexistantes les années passées) et qui semblent avoir été bien respectées grâce à la vigilance et la présence du Sous-Préfet et de ses collaborateurs qui n’ont pas hésité à cueillir les fraudeurs.
« Nous avons eu à aller récupérer dans un village de l’arrondissement plus de 122 sacs qui avaient été attribués par un membre de la commission à un GIE, les GIE ne pouvant être bénéficiaires de ce dispositif », témoigne le Sous-Préfet. Une première dans l’arrondissement, qui a marqué positivement les villageois. Des villageois qui -sollicités pour les besoins de ce reportage – ont confirmé à 1 ou 2 cas prés avoir payé les semences aux prix officiel. Soit pour les engrais d’arachide et de niébé 6100 fcfa le sac de 50kg, pour l’engrais de céréales, 8425 fcfa le sac de 50kg, et pour l’engrais de riz irrigué : 15 500 fcfa le sac.
« Pour éviter les fraudes, nous devons aussi communiquer auprès des populations concernées pour qu’elles aient l’information (les prix) mais aussi les critères d’attribution » conclut le Sous-Préfet. L’ignorance des uns profitant toujours aux autres, les malhonnêtes.
Bruno Briand / www.tambacounda.info /