Ousmane Dia artiste plasticien Sénégalais résident à Genève «Je demande gentiment au président Wade de retirer sa candidature»

Source rezomultimedia.com / Entretien réalisé par Maké DANGNOKHO /

Artiste plasticien, gestionnaire culturel, enseignant d’arts visuels,  Ousmane est nommé depuis 2005 comme fonctionnaire genevois. Dans cet entretien accordé au mensuel Rezo et au site d’informations générales www.rezomultimedia.com, il a abordé plusieurs sujets.  Natif de Tambacounda, il soutient : «je demande gentiment au président Wade de retirer sa candidature de trop, sinon il sera le seul comptable d’éventuels troubles qui s’en suivront».

Vous êtes un artiste plasticien Sénégalais de la Diaspora résident à Genève et un acteur culturel. Comment se porte l’art au Sénégal votre pays ?

Aujourd’hui, il est impossible de parler d’Art et de Culture au Sénégal sans évoquer le premier président poète Léopold Sédar Senghor. En effet, sous le règne de celui-ci, la Culture avait une place prépondérante dans sa vision politique globale et dans la gestion de l’Etat. Sous Senghor, la Culture faisait partie des grands chantiers de son gouvernement. La politique culturelle menée à l’époque a permis de renforcer, tant auprès des citoyens sénégalais que sur le plan international, l’image d’un pays porteur d’une identité culturelle forte, conscient de la valeur de ses traditions et de son patrimoine.
Aujourd’hui, le Sénégal est en train de vivre une des plus médiocres politiques culturelles jamais menée depuis notre accession à l’indépendance. Il est aisé de voir aujourd’hui les structures de formations artistiques quasi inexistantes, et les seules qui tiennent encore datant pour la plupart du temps de Senghor, sont tombées en déliquescence, faute d’une politique de suivi et de gestion efficiente. Le Sénégal en 2010 souffre d’un déficit alarmant d’infrastructures culturelles aptes à la formation, à la création tout comme à l’expression et à la diffusion de l’art.

Restons toujours dans le secteur culturel. Le monument de la Renaissance Africaine avait provoqué beaucoup de commentaires. En tant que sculpteur, qu’elle appréciation faites-vous de cette « oeuvre » du président Wade ?

Il n’y a pas un seul pays au monde où une bonne vision et politique culturelles sont établies, où les principes démocratiques sont érigés en sacerdoce, de voir une pareille monstruosité ! Wade et son gouvernement ont manqué l’occasion inouïe de mettre en exergue l’étendue du génie créateur sénégalais et africain. Car,  je puis vous dire que nous allions faire bien mieux que cela parce que nous sommes parfaitement en phase avec l’évolution de la création contemporaine. Il y a fort à parier qu’avec ce que nous voyons là, si le sculpteur français Auguste Rodin, mort  il y a près d’un siècle venait à se réveiller et voyait ce monument, il ne serait nullement dépaysé ! En ma qualité de sculpteur contemporain, je suis outré non seulement par le caractère disproportionné des formes du monument sur le plan technique, mais aussi par le manque de toute dimension plastique. C’est ignominieux de parler ainsi de monument de la Renaissance car la vision de la Renaissance par les artistes sénégalais et africains est à des années lumière de celle de Wade et de ses artistes. Et cela est la preuve que ceux qui le conseillent n’ont pas fréquenté Marino Di Teana, le célèbre sculpteur Italien  qui a  réalisé la plus grande sculpture en acier d’Europe « Liberté » qui se trouve à Fontenay  Sous Bois en France. Je le clame haut et fort, le monument de la Rrenaissance devrait faire l’objet d’un appel d’offre puisqu’au Sénégal maintenant l’on se bombe le torse pour laisser entendre que nous sommes les champions de la bonne gouvernance !

En décembre 2010, le Sénégal a abrité le 3ème Festival mondial des arts nègres.  Huit mois après cet événement planétaire, quelle analyse faites-vous du Fesman 3 ?

Le Fesman 3 pour lequel autant de ressources publiques sont consacrées a été un véritable fiasco. Avez-vous vu quelque part dans le monde le département de la Culture être dirigé par deux ministres, un dit de la Culture et du patrimoine historique et un autre en charge du Fesman ? Soyons sérieux ! Le seul ministère de la culture suffisait avec des hommes et femmes compétents et des missions et orientations très clairement définies.
Pensez-vous qu’un homme comme Youssou NDour, dont le savoir faire,  la trajectoire et les réalisations sont mondialement connus devait être laissé sur le carreau ? Un artiste qui s’est fait tout seul et qui a su s’imposer sur le plan international avec son réseau de contacts  pouvant largement bénéficier au Sénégal au cours de ce Fesman, ne pas l’impliquer dans l’organisation de ce Festival est plus que jamais une grande  perte. Comment comprendre qu’un sculpteur de la trempe d’Ousmane Sow ne fasse guère partie du comité de pilotage même s’il ne fait pas l’unanimité auprès des plasticiens ? La liste est loin d’être exhaustive car le Sénégal regorge de grosses pointures qui non seulement ont marqué leur époque, mais aussi l’Histoire de manière positive. L’organisation du Fesman, sa politique de communication, le choix des pôles, le programme, tout a été un échec, et cela ne me surprend point dans la mesure où pour soigner un malade, l’on a fait venir un cuisinier en lieu et place d’un médecin. Quel background Aziz Sow et Sindiély Wade ont-ils pour se voir confier ce Fesman ? Quels rapports entretiennent-ils avec les artistes et acteurs culturels ? Connaissez-vous un projet de Fesman qu’ils ont proposé ? Le cas échéant, qui a approuvé ce projet ? Quelle expérience ont-ils capitalisé en termes de festival ? Qui étaient les membres de leur staff ? Combien tout cela a-t-il  coûté ? Pourquoi le choix s’est-il porté sur Saint Louis comme second pôle alors que le Sénégal c’est aussi Tambacounda et ses ethnies dites minoritaires, Ziguinchor avec les comptes des mille et une nuits de la mystérieuse Casamance ?
Autant de questions troublantes sur lesquelles j’aimerai être édifié car le Fesman doit être un mode d’ouverture et de dialogue entre les peuples.  Il doit aussi être un moyen de renforcement de l’unité nationale.
On aurait pu imaginer mettre en œuvre un pré-Fesman dans les régions, et c’est là où je trouve pertinentes les activités de match de football entre une équipe du Brésil et une autre du Sénégal, un défilé de mode, un forum, des séances de diffusion de cinéma et autres.

Le Fesman devrait aussi être une opportunité de faire des conférences et des forums sur la diffusion des créations Africaines au niveau international. Nous savons pertinemment que les artistes et acteurs culturels sénégalais et même Africains ont aujourd’hui un réel problème pour la diffusion et l’écoulement de leurs créations. L’équipe organisatrice devait inviter des responsables de lieux culturels à travers le monde et négocier des contrats pour les artistes sénégalais. Les organisateurs devaient organiser une rencontre débat avec les représentations diplomatiques étrangères à Dakar pour plancher sur les  difficultés d’obtention de visas pour les  artistes et acteurs culturels. Beaucoup d’artistes sénégalais courent encore derrière leurs honoraires.  C’est frustrant et  c’est d’autant plus frustrant qu’en lieu et place des commissaires d’exposition compétents qui ne manquent pas au Sénégal, l’on a préféré la française Mme Florence Alexi pour la sélection des plasticiens. L’exposition à la biscuiterie fut un échec total sur le plan de la scénographie ! Avec le budget englouti par le Fesman 3, j’aurai pu tenir 5 festivals de dimension internationale avec un succès retentissant.

De façon générale que vous inspire la politique culturelle du président de la République Me Abdoulaye Wade ?

Il est vrai que le président de la République a le mérite de vouloir marquer d’une empreinte indélébile son territoire dans le domaine des infrastructures, des arts rythmiques et plastiques mais pour y parvenir, seuls les idées et les moyens financiers colossaux ne suffisent pas. Il faut des hommes et des femmes hautement qualifiés pour la mise en œuvre de ces projets culturels. Il m’est difficile d’admettre que le Président de la République ait pu s’entourer de conseillers culturels, sinon il pourrait faire l’économie de pareilles « monstruosités » et éviter à notre pays d’être la risée des fins connaisseurs de la chose plastique contemporaine. Combien de ministres ont dû présider aux destinées du ministère de la Culture sous le magistère de Wade ? Cela pourrait en partie  expliquer ces nombreux dérapages dans la réalisation d’œuvres d’art publiques.

Qu’en est-il de la prochaine édition de l’échange artistique TGD Tambacounda-Genève-Dakar dont vous êtes l’initiateur depuis 2001?

TGD9 se déroulera du 20 septembre au 16 octobre 2011 à Genève. Les 21 artistes invités seront présents sur la scène genevoise du 20 au 27 septembre 2011 dont 5 sénégalais. Le concept de la 9ème édition de TGD repose sur les bases communes aux précédentes éditions : rencontre, échange, workshop, expositions collectives et visites.
TGD c’est une aventure humaine qui a permis à de nombreux artistes de tisser un réseau transcontinental. Un des objectifs de TGD 9 est de renforcer et d’étendre ce réseau, mais c’est aussi et avant tout offrir aux artistes un espace et un temps de rencontre privilégiés ; offrir au public une exposition et des performances de qualité ; présenter des œuvres de médias et courants divers, d’artistes venus de tous les horizons, reconnus ou à découvrir ; offrir à des jeunes en rupture sociale une approche vivante de l’art et leur ouvrir une porte sur la liberté mentale que l’art peut apporter . 
Avec les projets TGD, la diversité n’est pas un concept mais une expérience.

Parlons maintenant d’actualité. Comment le Sénégalais de l’extérieur que vous êtes, a vécu les événements du 23 juin dernier relatifs au vote du projet de loi sur le ticket présidentiel ?

Je ne suis pas « un empire dans un empire » ou encore un électron libre qui planerait au dessus de la société sénégalaise, quand bien même je vis à Genève. J’ai aussi mal de voir mon pays traîné dan la boue, passez moi l’expression, par un homme qui n’en fait qu’à sa tête, et selon les intérêts d’une bande de matamores qui l’entourent et qui ne cessent de lui chantonner qu’il est le meilleur des hommes. Retoucher 16 fois la Constitution est tout simplement irrespectueux et inadmissible, surtout que le président Wade ne consulte personne, ni dans son entourage, ni dans l’opposition et  la société civile, comme si notre pays et sa charte fondamentale étaient sa propriété personnelle. Il fallait siffler la fin de la récréation et c’est ce que le peuple a bien fait le 23 juin, rappeler qu’il est le seul souverain. Ici comme au Sénégal, personne ne saurait cautionner ce subterfuge de ticket présidentiel.

Quel est votre point de vue sur la candidature controversée du président de la République Me Abdoulaye Wade ?

A ce jour tous les constitutionnalistes sérieux de notre pays ont laissé entendre que la candidature de Wade en 2012 serait de trop. Nous n’avons que notre pays et pour rien au monde nous ne laisserons qui que ce soit le conduire au chaos. Outre Benno Siggil Sénégal, un front du refus plus large est porté sur les fonds baptismaux, le M23, et je m’inscris dans la même dynamique consistant à demander gentiment à Wade de retirer sa candidature, sinon il sera le seul comptable d’éventuels troubles qui s’en suivront. Il est encore temps pour lui de sortir par la grande porte comme l’ont fait les grands hommes qui aiment leur pays.


Certains définissent la politique comme une activité consistant à servir le peuple. Sous ce rapport, Ousmane Dia pourrait-il investir le champ politique un jour ?

Les questions politiques sont des questions de tout le monde, les questions de tout le monde sont des questions politiques. Sous ce rapport, il arrivera nécessairement un jour où je descendrai dans l’arène politique, pas pour exceller dans la politique politicienne, mais pour être au service des populations afin de les aider à transcender leurs nombreux problèmes qui perdurent depuis l’accession de notre pays à la souveraineté internationale. Jusqu’ici au Sénégal, l’on parle de routes, de structures de santé, d’infrastructures structurantes de base, d’emploi, d’électricité, d’eau… je trouve que cela est tout simplement incompréhensible et abracadabrant.

L’un des maux de votre ville natale Tambacounda reste, sans nul doute, le chômage chronique des jeunes.  Avez-vous une solution face à ce phénomène ?

Quand il n’y a aucune infrastructure dans une ville, il est quasi impossible d’y créer de l’emploi et pour qu’il y ait des infrastructures (usines, magasins, hôtels, sociétés de transport) il faut qu’il y ait de la production. Tambacounda pourrait être un pôle de développement agro-industriel. Il suffit de mettre en place de grandes entreprises agricoles viables, avec tout ce qui il y a comme dernière technologie en termes d’agriculture et d’élevage. Des unités de transformation, des entrepôts frigorifiques, des compagnies de transport et d’autres services naîtront et il y aurait des emplois  pour des jeunes.
Pour qu’il y ait des emplois, il faut une bonne politique de formation. Il faut créer à Tambacounda un centre universitaire régional, des instituts de formation aux métiers des mines et de l’agriculture tout comme des écoles de formation professionnelle. J’ai un projet qui consiste à la création d’un périmètre d’art plastique et appliqué à Tambacounda que j’ai appelé « Art Kunda ». Ce sera un espace de création, de promotion et de diffusion pour les artistes et acteurs culturels du Sénégal et de la sous-région. Peut-être que ce projet verra le jour après les échéances électorales de 2012.

Tout le monde reconnaît que Tambacounda est une région regorgée de cadres. A votre avis, ces derniers ont-ils réellement joué leur partition pour l’émergence de leur terroir ?

Mon avis est que tous ceux que vous appelez cadres sont profondément attachés à leur terroir et je suis pertinemment convaincu que s’ils avaient les moyens de faire briller Tambacounda de mille feux, ils allaient le faire. Mais Tambacounda est ce qu’il est, suivez mon regard, l’on préfère prendre 1000 francs à un homme politique et bousiller son avenir. Regardez autour de vous et dites moi s’il y a une seule commune dans ce pays et dans la sous région Ouest africaine, de surcroît une commune chef lieu de région, dirigée par un maire analphabète que l’on a préféré à un administrateur civil de classe exceptionnelle !
Non que je vous laisse dédouaner les cadres auxquels vous faites allusion, eux aussi ont le devoir de mouiller le maillot pour faire sortir Tambacounda de l’ornière du mal développement, maintenant en quoi faisant, c’est là toute la question. En ce qui me concerne, j’ai déjà pris langue avec certains tambacoundois de la diaspora, je continuerai tant que j’aurai la santé et les moyens de le faire pour que nous puissions nous réunir autour de l’essentiel : TAMBACOUNDA

Le rêve d’Ousmane Dia pour la région de Tambacounda ?

Faire de Tambacounda le second pôle de développement économique du Sénégal. Il y a les dernières réserves forestières du pays, il y a des terres cultivables, il y a un patrimoine culturel inégalable, il y a des ressources minières, il y a de l’espace et il y a des hommes et des femmes plus que jamais déterminés à renverser la tendance.