Par Ibrahima Diébakhaté
Kédougou, 6 nov (APS) – Les sites d’orpaillage de la région de Kédougou sont devenus des zones de prédilection pour les réseaux de trafic d’êtres humains qui brouillent de plus en plus les logiques de l’espace migratoire ouest-africain, confronté aux dynamiques de la mondialisation et du crime organisé depuis vingt ans.
Pour enrôler directement les filles et les femmes, les trafiquants se rendent dans des villages, où ils s’adressent à leurs parents, explique Sokhna Fatou Sissoko. Sokhna a participé, à plusieurs reprises, à des opérations organisées pour le retour, dans leur pays, de filles nigérianes dans le cadre du projet Free salves (FTS).
‘’Il [le trafiquant] fait alors en sorte de se retrouver, non pas en position de demandeur, mais dans celle de bienfaiteur : celui qui accepte de prendre une fille à sa charge et qui rend service à la famille’’, explique-t-elle.
Généralement, dit-elle, le trafiquant est originaire de la région, voire du village de la fille ciblée.
Une fois dans le village, il repère les foyers en difficulté financière et s’informe sur le nombre et l’âge des filles au sein des familles. Le subterfuge consiste alors à anticiper la demande et à créer l’occasion de formuler une offre que les parents ne pourront pas refuser.
En échange de la force de travail de la fille, le trafiquant va offrir à la famille des biens matériels ou de l’argent. Par exemple, les trafiquants promettent aux parents, une somme d’environ 100 000 Naira par an pour les mettre en confiance et obtenir plus facilement leur accord. Dans les cas où les trafiquants ne disposent pas d’argent, ils promettent aux parents de donner à leurs filles ce qu’eux-mêmes ne pouvaient se permettre : une éducation, une formation professionnelle ou des biens indispensables à la vie.
Selon Sokhna Fatou Sissoko, les membres de la famille des enfants victimes de la traite contribuent très souvent à la constitution des réseaux de la traite. Le fait que le déplacement soit initié par un parent établit que la responsabilité ne s’arrête pas à la négociation.
Ainsi, en acceptant ou en initiant le déplacement des enfants, le parent se prête au jeu des intermédiaires. Les parents qui remettent leurs enfants aux trafiquants ignorent tout des tenants et aboutissants du processus.
De nombreuses familles imaginent que l’enfant sera affecté à des travaux légers non préjudiciables à son intégrité.
201 Nigérianes retirées des sites d’orpaillage entre 2022 et 2024
Quelque 201 filles de nationalité nigériane victimes du trafic sexuel dans les zones aurifères ont été retirées des sites d’orpaillage de la région de Kédougou, indique le chef d’antenne de l’ONG ‘’La lumière’’ qui intervient dans la zone.
‘’Nous avons, durant ces deux ans, retiré 201 filles mineures victimes d’exploitation sexuelle, mais 161 ont été retournées au Nigeria, leur pays d’origine. C’est à la suite des descentes avec nos comités de vigilance communautaire (CVC) dans les différents sites de la région de Kédougou. Et ces Nigérianes sont venues au Sénégal via le Mali’’, explique Aliou Bakhoum.
La Lumière est spécialisée dans le retrait et la réinsertion des enfants en situation de vulnérabilité. Cette ONG s’active également dans la lutte contre la traite des personnes. Elle intervient à Kédougou et dans plusieurs autres régions du Sénégal.
Les filles en provenance du Nigeria sont présentes sur les sites d’orpaillage de Karakhéna, Kolia, Sambranbougou, Khossanto, Mamakhono, Tenkhoto, Bantako, Diabougou, Soréto, Sansamba, Bambrayading, où elles font l’objet de trafic sexuel.
‘’Ces filles ont été reçues au centre d’accueil et de réinsertion social du département de Kédougou et de Saraya. Elles ont été mises à l’abri du danger de l’exploitation sexuel. Certaines d’entre elles voulaient rentrer définitivement au Nigeria’’, assure M. Bakhoum.
Avec son partenaire ‘’Free The Slaves’’, l’ONG La lumière a installé plus de 20 comités de vigilance communautaires (CVC) en vue d’intensifier la lutte contre l’exploitation sexuelle sur les sites d’orpaillages clandestins de la région de Kédougou.
A la merci du VIH et des grossesses non désirées
Les victimes sont confrontées à un risque accru d’infection par le VIH. Souvent, les structures sanitaires basées à Kédougou organisent des tests de dépistage gratuit de VIH dans les villages pour ces femmes. Et à l’issue de chacun des tests, certaines d’entre elles sont déclarées séropositives.
Il n’y a certes pas d’estimations officielles sur l’utilisation ou la disponibilité des préservatifs pour cette population. Mais, le fait est que la plupart d’entre elles déclarent qu’elles ne demandaient pas au début à leurs clients d’utiliser des préservatifs. Elles le font maintenant grâce aux efforts de sensibilisation des assistants sociaux.
Autant dire donc que le risque était grand pour elles de contracter une grossesse avec un inconnu et de devoir subir un avortement forcé sous la contrainte d’un proxénète. Et si par malheur la fille ou la femme décède, son corps peut même être jeté. La victime quitte alors ce monde sans enterrement ni funérailles, confient d’entre elles.
Sharon travaillait à Bantako comme travailleuse de sexe depuis un mois au moment de son entretien. Elle raconte qu’elle insistait pour utiliser des préservatifs, mais que, parfois, les clients lui offraient 10 000 CFA pour des rapports sexuels non protégés.
De plus, certaines filles affirment que des clients surenchérissaient pour les pousser à accepter des rapports non protégés, ce qu’elles finissaient par accepter.
Valérie, 19 ans, vit sur le site de Bantaco. Elle confie que c’est la peur de la violence qui fait qu’il est difficile d’insister pour l’usage du préservatif.
‘’J’essaie d’utiliser des préservatifs, mais des fois les clients deviennent brutaux. Il y a trois jours, un type m’a invitée chez lui et quand je suis arrivée là-bas, il y avait un groupe d’hommes qui voulaient coucher avec moi, l’un après l’autre. J’ai dû partir en courant’’, a-t-elle raconté.
Sur les sites d’orpaillage, des jeunes filles nigérianes sont contraintes à des pratiques sexuelles connues de tous. Mais, la répression est encore faible pour réussir à juguler ce fléau. Des bandes organisées, dirigées par des femmes, réussissent à développer un vaste réseau de trafic et de traite de personnes entre le Nigeria et le Sénégal via le Mali.
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