Le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire au Sahel devrait passer de 11,3 millions en 2013 à plus de 20 millions en 2014, notamment à cause d’une augmentation des personnes souffrant de la faim dans le nord du Nigeria, le nord du Cameroun et au Sénégal. IRIN s’est rendu à Louga, dans le nord du Sénégal, pour comprendre pourquoi ce nombre est si élevé.
« Nous n’avons rien récolté dans les champs cette année. Rien du tout », a déclaré Ndjouga Ndianye, un agriculteur de Diama Nguene, un village à environ 15 km de Louga, une ville située à 70 km au sud-est de Saint Louis. « Dans les champs, il n’y avait rien à part des restes de cacahuètes. Absolument rien. »
Le nombre de personnes en situation d’insécurité alimentaire au Sénégal est légèrement plus élevé cette année qu’en 2011, l’année où le pays avait connu une grande sécheresse.
Les précipitations étaient faibles – et dans certains cas, inexistantes – en 2011, suffisantes en 2012 et de nouveau faibles en 2013, ont affirmé les agriculteurs de la région de Louga. Aussi, même si les familles avaient fait quelques réserves en 2012, elles ont commencé l’année avec un déficit. Nombre d’entre elles étaient très endettées, ce qui les a rendues particulièrement vulnérables lorsque les pluies de 2013 sont tombées tard et se sont terminées tôt.
Cette dynamique a fait grimper le nombre de personnes souffrant de la faim au Sénégal, de même que les progrès réalisés pour évaluer la sécurité alimentaire ; les enquêtes identifient maintenant des populations affamées qui étaient auparavant invisibles.
« La situation est très difficile », a expliqué Fatou Ndiaye, une agricultrice de 30 ans de la région de Louga. « J’ai [quatre] jeunes enfants et tous les jours, mes enfants me disent : “Maman, j’ai faim”. Mais que puis-je faire ? », a-t-elle demandé. « Il n’y a eu aucune récolte, donc nous n’avons pas de sac [de riz] cette année. C’est vrai que tous les ans, c’est difficile, mais cette année est la pire. Je suis très inquiète, car je ne sais pas ce que nous allons manger dans les mois qui viennent. »
Selon les évaluations de la sécurité alimentaire réalisées par le Programme alimentaire mondial (PAM) de juin à décembre 2013 sur l’ensemble du territoire, 20 pour cent de la population – 2,5 millions de personnes – devraient souffrir d’insécurité alimentaire cette année. Cinq pour cent d’entre elles, soit 675 000 personnes, seront en situation d’insécurité alimentaire grave.
D’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), au mois de janvier, plus de 2,5 millions de personnes étaient déjà menacées par l’insécurité alimentaire au Sahel.
Détérioration de la situation
À Louga, quelque 33 000 habitants souffrent d’insécurité alimentaire grave, un nombre nettement plus élevé que celui de l’an dernier, a déclaré Ingeborg Breuer, directrice du PAM au Sénégal. Les récoltes étaient de 11 pour cent inférieures à la moyenne. « C’est très inquiétant si vous comparez ces statistiques à celles de l’année dernière. Il est clair qu’il y a une détérioration de la sécurité alimentaire à Louga. » Dans la région de Louga, les pluies étaient irrégulières. Les invasions d’insectes nuisibles ont également empiré en 2013.
« Il y a toujours eu des mauvaises années de temps en temps, mais celle-ci est vraiment la pire », a déclaré Malo Niang, un agriculteur du village de Thiedy, dans la région de Louga. « Normalement, je récolte des tonnes de cacahuètes et de millet, mais cette année, je n’ai que quelques sacs. »
Selon Ibrahima Laye Thiome, coordinatrice des opérations de l’unité de gestion des catastrophes de la Croix-Rouge sénégalaise, les enquêtes montrent que les rendements des récoltes ne devraient pas durer au-delà de la mi-mars. La période de soudure sera donc précoce cette année. De nombreuses familles ne se sont toujours pas remises des crises alimentaires précédentes. « Les prévisions pour cette année sont donc très inquiétantes », a déclaré Mme Breuer.
Augmentation rapide de la malnutrition
Les enfants devraient eux aussi souffrir des conséquences des mauvaises récoltes au cours des prochains mois. Selon OCHA, cinq millions d’enfants de moins de cinq ans vont souffrir de malnutrition cette année au Sahel, et 1,5 million d’entre eux seront atteints de malnutrition aiguë sévère (MAS). Ce nombre est presque semblable à celui de 2013, l’année où l’expertise sur la malnutrition s’est grandement améliorée. Les chiffres avaient alors fait un bond par rapport à ceux de 2012, quand les évaluations portaient à un million le nombre d’enfants souffrant de malnutrition sévère.
Boubacar Camara, infirmier dans l’un des centres hospitaliers régionaux de Louga, a déclaré que près de 3 pour cent des enfants soignés étaient actuellement en état de malnutrition aiguë modérée (MAM). Ce chiffre devrait augmenter dans les prochains mois.
« Il n’y a pas eu de forte hausse des cas de malnutrition jusqu’à présent », a-t-il affirmé. « Mais j’ai peur que cela arrive bientôt, à cause des mauvaises récoltes de l’année dernière. »
Des familles disent devoir se rendre à des marchés distants de 10 km pour acheter du riz ou du millet, mais pour beaucoup, l’argent commence à manquer. Ceux qui le peuvent prennent une charge supplémentaire de travail dans les villes ; ils fabriquent des briques, construisent des maisons ou travaillent dans d’autres fermes que la leur.
« Notre problème est maintenant de trouver à manger », a déclaré Fati Fall, une mère de quatre enfants de la région de Louga. « Certaines personnes font des emprunts pour acheter de la nourriture. Nous cherchons aussi de la paille à vendre sur le marché pour gagner un peu d’argent. Mais ce n’est pas facile. D’autres gens vendent des animaux ou de la viande, mais même cela est difficile », a-t-elle déclaré.
La population n’est pas la seule à souffrir. D’après les habitants de Louga, les animaux sont aussi en danger. Les pluies irrégulières font qu’il a moins de fourrage à manger pour les bêtes.
« Mes bêtes maigrissent », a déclaré Boubou Diallo, qui possède un troupeau de vaches et de moutons de près de 70 têtes. « Ils n’ont rien à manger et s’affaiblissent. À cause de ça, leur prix diminue sur le marché. Donc, je gagne moins d’argent et je dépense plus pour leur entretien. Ce n’est pas facile. Comment vais-je pouvoir acheter de la nourriture à ma famille si je ne fais pas de bénéfice cette année ? », a-t-il demandé.
Des plans d’aide prévus
Pour faciliter la tâche des familles touchées par l’insécurité alimentaire, de nombreux organismes humanitaires et de développement affirment qu’ils continueront d’apporter de l’aide alimentaire dans la région de Louga cette année.
Le PAM prévoit de distribuer des bons alimentaires pour couvrir les besoins élémentaires des prochains mois. Les programmes d’alimentation scolaire seront également maintenus et environ 5 000 enfants devraient en bénéficier. Le PAM fournira également un appui nutritionnel à 13 000 enfants de moins de cinq ans.
Selon Mme Breuer, il est crucial de réagir le plus tôt possible. « Si vous ne démarrez pas au début de la période de soudure, la population va commencer à adopter de mauvaises stratégies d’adaptation », a-t-elle déclaré. « Les gens vont épuiser tous leurs avoirs. Beaucoup vont migrer vers les villes. Nous devons donc vraiment atteindre la population avant qu’elle ne se mette à adopter ces mauvaises stratégies d’adaptation. »
Selon les experts, il faut que les familles participent à la régénération du sol appauvri et à l’amélioration de la qualité des semences et des engrais, afin de pouvoir produire plus de nourriture.
L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a promis de fournir aux agriculteurs du pays des intrants agricoles, tels que des semences de qualité et de l’engrais, ainsi que des outils agricoles. La FAO travaille également avec le gouvernement et les partenaires locaux pour améliorer les systèmes d’irrigation à petite échelle, conserver l’eau de pluie et remettre en état les terrains endommagés.
Pour aider les troupeaux de bétail, la FAO a déclaré qu’elle fournirait des aliments pour animaux et des produits vétérinaires aux éleveurs du pays.
D’autres organisations, comme la Croix-Rouge sénégalaise, souhaitent aussi intervenir, mais elles doivent attendre que le gouvernement reconnaisse publiquement que la région de Louga est en proie à une crise alimentaire.
Les habitants de Louga espèrent que l’aide arrivera avant qu’il ne soit trop tard.
« À l’heure actuelle, nous essayons simplement de survivre », a déclaré Touba Dia. « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour pouvoir manger. Pour le moment, nos repas ne sont pas fantastiques, mais ils sont suffisants pour vivre. Mais dans quelques mois… c’est cela qui m’inquiète », a-t-elle déclaré. « Comment allons-nous trouver de la nourriture ? Je n’en sais rien. »