Alternance II, AN II Entre violences et arrogance politique, atermoiements réformistes et acharnement judiciaire

Deux années de pouvoir. Et la majorité des Sénégalais attend toujours Godot. Attendre Godot signifie que l’espoir est encore làen dépit des difficultés auxquelles, en l’occurrence, les Sénégalais sont confrontés dans leur tragique quotidienneté. A cet effet, il importe de se demander pourquoile chef du parti de l’Espoir et, par ailleurs, président de la République du Sénégaln’a pas réellement accéléré la cadence comme le promettait pourtant le Premier ministre, Mme Aminata Touré, lors de son discours de politique générale.

Au plan politique, on note que la rupture n’est pas encore au rendez-vous. La formation politique présidentielle n’est pas encore guérie de ses addictions libérales. La violence fait rage au sein de l’Alliance pour la République (Apr) et l’arrogance de plusieurs de ses responsables devient un mode de gouvernance. Et pourtant si le peuple sénégalais,à 65% de ses suffrages, a décidé,le 25 mars 2012, de renvoyer le président Abdoulaye Wade et ses zélotes dans l’opposition, c’était pour assainir les mœurs politiques et la façon de gouverner littéralement avilies par douze ans de violence, d’arrogance et prédation des ressources publiques. Hélas, aujourd’hui, à peine deux ans après leur accession au pouvoir, les « apéristes » reconduisent les mêmes pratiques au point que le président Macky Sall a martelé à ses ouailles qu’il ne veut pas d’une Apr sous le maquignon du Pds. Ce qui montre à quel point son parti clone la formation libérale anciennement au pouvoir.

Au plan institutionnel, les réformes tardent même si la Commission nationale de réforme des institutions (Cnri), dirigée par le Pr Amadou Makhtar Mbow, a déposé ses travaux. Le mandat de cinq ans du Président demeure encore une nébuleuse voire une arlésienne même si le chef de l’Etat montre constamment sa volonté de réduire la durée de son mandat. Une promesse électorale à laquelle il n’entend apparemment pas déroger. Cela dit, les Sénégalais ne comprennent pas pourquoi cette promesse de campagne n’est pas encore matérialisée par un acte législatif. Une explication à cela est que, de plus en plus, le passage au quinquennat hypothéqué devient tributaire de l’issue des élections locales. En effet si, au sortir des locales, l’Apr se trouve affaiblie, il est quasiment certain quele septennat restera inchangé. Et pour cause, si le quinquennat reste maintenu, il sera quasiment impossible pour le président de la République, sur une période de deux ans,de retourner une opinion prête à sanctionner sa politique qui ne parvient pas encore à prendre le bon chemin.

Ses députés joueront certainement son jeu, lequel consiste à laisser à l’Assemblée nationale largement dominée par la mouvance présidentielle, sa liberté de voter les lois. En vertu de quoi, au nom de la séparation des pouvoirs, les députés apéristes et alliés n’agréeront pas la réduction du mandat présidentiel. Et si des irréductibles comme Moustapha Cissé Lô, Jean Paul Dias et Djibril War persistent à marteler qu’ils s’opposeront vaille que vaille à toute initiative de réduction du mandat présidentie là cinq ans, nonobstant l’assurance affichée par leur mentor, c’est pour se départir de toute coercition au moment du vote de la loi portant réduction du mandat présidentiel.Ce qui augure de lendemains orageux entre les Sénégalais, partisans du oui à la réductiondu mandat présidentiel,et les Apéristes qui veulent maintenir le statu quo au nom de calculs politiciens et pousser le Président à se dédire.

Et si aux plans politique et institutionnel, les choses sont restées en l’état, il en est de même pour le judiciaire fortement secoué par l’acharnement constaté dans la traque des biens mal acquis enclenchée au tout début de l’alternance II. Le 17 avril prochain, Karim Wade, le fils de l’ancien président de la République, va boucler ses douze mois d’incarcération à Rebeuss sans qu’aucune once de preuve sur ses supposés 694 milliards mal acquis ne soit établie. Deux mises en demeure en un an n’ont pas encore permis de prouver sa culpabilité. Malgré cette absence de preuves, pourtant, le régime actuel s’échine à vouloir le maintenir en prison pour on ne sait quelle raison. Le même acharnement est noté dans l’affaire Hissène Habré où certains magistrats des chambres africaines extraordinaires et journalistes à la solde d’Idriss Déby œuvrent pour donner le coup de grâce à l’ex-président tchadien emprisonné au mépris de tous les droits seyant à un ancien chef d’Etat.

Toutes choses qui font qu’aujourd’hui, on a comme l’impression que la justice sous l’ère du président Macky Sall est devenue une institution vindicative et rancunière dont l’objectif est de mettre hors d’état de nuire un potentiel concurrent politique ou de satisfaire les desiderata d’un dictateur qui pense se blanchir aux yeux de l’histoire en finançant à coup de milliards le procès de son ancien patron pour qui il exécutait toutes sortes de vilénies en tant que patron de la redoutable police politique tchadienne qu’était la DDS.

Serigne Saliou Guèye / Article paru dans « Le Témoin » N° 1158 –Hebdomadaire Sénégalais (Mars 2014)