Du fond de sa demeure à Telgate en Italie où il vit depuis treize ans, « grand » Dame comme l’appellent beaucoup de jeunes, se souvient de Tambacounda, cette ville qui l’a accueilli dès l’âge de 7 ans. Cet homme exceptionnel, généreux, pieux, lucide et plein d’énergie avoue avoir puisé une grande partie de sa foi et de ses forces au quartier Abattoirs où il a vécu pendant 17 ans. L’homme a la maîtrise parfaite de l’italien et du bambara, il est totalement intégré dans sa ville adoptive située à quelques kilomètres de Bergamo au nord de l’Italie.
« Je suis arrivé à Tambacounda à l’âge de 7 ans car mon père avait décidé de s’y installer pour y travailler comme forgeron ». Dame a fréquenté l’école primaire de Médinacoura jusqu’en CEM2 avant de repartir à Mbacké un petit moment pour y apprendre le métier de soudeur métallique. Après avoir acquis une bonne formation, il décide de revenir à Tamba pour y exercer. Ainsi, il ouvre son premier atelier de menuiserie métallique avec des jeunes Tambacoundois qui souhaitaient apprendre le métier.
Dame fait partie d’une génération de jeunes déjà tenaillés à l’époque par une forte envie d’émigrer pour subvenir aux besoins des parents. Ce faisant, Dame décide de partir à l’aventure comme beaucoup de ses amis avec comme première destination le Mali. Une fois à Bamako, il y travaille dur et, avec ses économies, il part en Côte d’Ivoire. Après dix-huit mois passés à Abidjan, il décide de revenir au bercail, pour voir la famille et certains amis qui habitent essentiellement dans les quartiers Abattoirs, Médinacoura, Dépôt et Pont. Mais ce retour à Tamba n’est qu’un retrait pour préparer d’autres destinations.
Après avoir pris trois mois de recul à Tamba, nous sommes en 1982, il reprend la route vers le Mali, puis l’Algérie pour finir en Libye où il reste pendant 19 mois. Ensuite, rebelote, il revient à Tambacounda, y investit ses économies et vise l’Europe.
Cette fois-ci, après le Mali et l’Algérie, il fonce sur la Tunisie. Il y travaille, fait des économies pour pouvoir payer son voyage. C’est ainsi qu’avec ses finances qui ne pouvaient pas lui permettre de prendre l’avion, Dame Touré prend le bateau en 1984 pour l’Italie. « A cette époque, nous n’avions pas besoin de visa pour aller en Italie. Seul un passeport valide et le billet suffisait», nous confie M. Touré. « Une fois en Italie, ce n’était pas facile de trouver du travail, ce qui m’a poussé à aller à Rome puis à Catania, Venezia, Milano pour finir à Bergamo. »
Dame vit et travaille à Telgate depuis 13 ans dans le domaine de la menuiserie métallique industrielle.
Dame se souvient
« Je garderai des souvenirs positifs de Tambacounda jusqu’à ma mort. Cette ville m’a adopté et m’a forgé. Je suis encore en contact avec certains amis. J’invite la jeunesse Tambacoundoise à prendre conscience de la richesse dont regorge cette belle partie du Sénégal. Sur le plan culturel, social et humain Tambacounda n’a rien à envier aux autres régions du pays. On partageait tout à Tamba à cette époque, que ce soit du bonheur ou du malheur ; la jeunesse était soudée, les adultes étaient respectés car ils nous tenaient toujours un langage de vérité et nous donnaient de vrais conseils sans intérêt.
Aujourd’hui, malgré les kilomètres qui me séparent de Tamba, je n’arrête pas d’y penser et de leur envoyer mes prières. J’invite la jeunesse Tambacoundoise à se battre pour sortir Tambacounda de sa situation actuelle. L’arme principale dont ils ont besoin pour y arriver, c’est d’abord l’amour envers Tambacounda.»
Dame n’exclut pas le retour au bercail:
Je n’exclus pas de retourner vivre le restant de mes jours à Tambacounda et partager avec les jeunes mes expériences vécues en Italie, surtout dans le domaine professionnel. En ce moment, je rencontre des Tambacoundois en Italie. À chaque fois, nous n’arrêtons pas de discuter de ce que nous pouvons faire ensemble pour cette ville. Il y a même un jeune Tambacoundois qui vit chez moi à Telgate. C’est un jeune qui a toutes les valeurs et l’éducation de cette ville. »
Concernant les jeunes qui empruntent les embarcations de fortune pour rejoindre l’Italie, Dame nous confie:
« Cela me fait mal au cœur de voir cette jeunesse sénégalaise en général et tambacoundoise en particulier vendre leurs biens ou s’endetter pour prendre des embarcations de fortune. Je me souviens en quittant la Tunisie à bord d’un bateau, nous avions rencontré une grande tempête en pleine mer. Le bateau était secoué comme un grain de riz dans une grande calebasse. Tout le monde était paniqué à bord. Certains vomissaient, d’autres criaient, il y avait une dame européenne à côté de moi qui a jeté son bébé dans les bras de son mari et s’est mise à hurler. Nous étions deux Sénégalais à bord complètement perdus dans cette ambiance. Tout le monde pensait que c’était notre dernier jour. Finalement le calme est revenu après la tempête. C’est pourquoi, à chaque fois que j’entends durant les informations à la télévision ou à la radio que des Sénégalais ont pris des embarcations de fortune, cette scène me revient en tête. Si dans un bateau équipé pour la traversée nous avons vécu une telle situation, je n’ose même pas imaginer ce qui pourrait arriver à une embarcation de fortune en pleine mer.
J’invite les jeunes à plus de lucidité et surtout à avoir la foi, qui est un des piliers de notre éducation. Il est possible aujourd’hui d’avoir légalement un visa pour l’Europe. Il ne faut jamais sacrifier sa vie pour de l’argent. En prenant les embarcations de fortune, on ne sait pas où on atterrit et dans quelles conditions. Actuellement, l’Europe est en train de vivre une crise économique sans précédent. Il est important que les jeunes le sachent. J’invite les jeunes à réfléchir avant de prendre de telles initiatives. N’oublions pas que la mort d’un jeune est très dure à digérer, surtout si ce dernier disparaît en mer et que le corps reste introuvable. Dans ces conditions, il serait très difficile aux parents de faire le deuil. Donc chers frères et sœurs, je vous prie d’avoir plus de lucidité face à cette façon d’émigrer qui déshonore tout un continent. »
Le dernier mot:
« Mon plus grand souhait aujourd’hui est de voir Tambacounda devenir la première ville du Sénégal. Car les Tambacoundois le méritent et ils ont toutes les prédispositions pour cela. Combien d’intellectuels, de cadres, d’ouvriers de renommée, d’aventuriers, de chefs religieux, etc.. cette ville a formés ou a vu naître? C’est énorme. Je reste optimiste pour que dans un futur proche il y ait un grand retour de toutes ces potentialités qui se battront pour le décollage de la plus belle région du Sénégal. Vive Tambacounda. »