Le syndrome Wade guette-t-il son successeur ? Dans cet entretien qu’il nous a accordé à la rédaction de xalimasn.com, le journaliste sociologue, Pathé Mbodj, indique que «là où Wade avait un seul Karim, aujourd’hui, Macky a toute la famille et la belle-famille». Une attitude qui ne s’explique pas selon cet analyste politique qui estime que le président Sall se doit de l’éviter en se sens qu’il a vécu une injustice.
Après deux ans au pouvoir, que peut-on retenir de la gestion du président Macky Sall en termes de perspectives ?
Après deux ans au pouvoir les, perspectives ne sont ni meilleures ni pires. Macky Sall a, aujourd’hui, à peu près les moyens de sa politique. Succéder à Abdoulaye Wade, ce n’est pas évident. Wade est fantasque; c’est un géant qui a très peu la notion de la norme. Alors, quand on succède à un tel homme, on a forcément quelques petits problèmes. Surtout que la conjoncture internationale est des plus difficiles. Il a pu quand même décider le partenariat financier traditionnel pour accompagner le Sénégal à travers son nouveau plan Sénégal émergent (Pse). Il faut dire que pendant les deux premières années il a tâtonné, il essayé de restructurer, de donner une certaine consistance, une certaine légitimité, une certaine hauteur à la fonction et, en cherchant aussi les moyens. Maintenant, je pense qu’avec le groupe consultatif de Paris, il a partiellement les moyens. C’est vrai qu’il continue à chercher parce qu’il y a encore 250 milliards de francs Cfa que le Sénégal est en train de chercher sur le marché obligataire. Mais il faut retenir que, toute proportion gardée, il semble maintenant mieux assis. Et c’est cela l’avantage sur ses deux ans au pouvoir. Au fond, d’ailleurs, quand on fait le bilan de ses deux ans, on se rend compte qu’il a appliqué autre chose que ce qui était dans son projet de société. Par exemple, la couverture maladie universelle, les bourses familiales n’étaient pas des éléments de son programme Yonnu Yokkuté. C’est vrai qu’il avait le souci d’aider à réduire la fracture sociale en pensant, peut-être, plus à lui-même et à son parcours qu’à un projet véritable de société. Mais, dans tous les cas, il a pu tant bien que mal essayer de cheminer. C’est vrai que le plan couverture maladie universelle comme les bourses familiales sont des éléments d’inégalité sociale mais, en même temps, il ne peut pas joindre les Sénégalais sur tout le territoire national. Je pense que le maillage qu’ils sont en train d’opérer peut porter ses fruits. Mais, en tout cas, le président Macky Sall n’a plus le prétexte des années Wade, comme Wade avait le prétexte des quarante ans des années socialistes.
Malgré cet optimisme des Sénégalais se plaignent toujours de la situation du pays, au moment où nous allons vers des élections locales. Peut-on imaginer des élections à la française où le pouvoir a été dernièrement malmené ?
Absolument ! Ce qui est curieux d’ailleurs, c’est que certains analystes sénégalais font un parallèle entre le président de la République française, François Hollande, et Macky Sall. Ils sont arrivés à peu près à la même période. Macky, un peu à la surprise générale, Hollande en suivant un parcours atypique; et ils ont à peu près les mêmes fortunes. Hollande n’a pas encore les coudées très franches du fait que son arrivée au pouvoir a correspondu à des crises sérieuses et majeures. Le printemps arabe par exemple avec ses conséquences extérieures sur la France sous Sarkozy, avec une déstabilisation – j’ai l’habitude de dire que les problèmes de l’Afrique aujourd’hui, c’est la France- et le problème de la France, l’Afrique. Macky vit à peu près la même chose avec des offenses plus ou moins accentuées de la part de ses anciens alliés, comme la France et les Etats-Unis. Les choses se sont dégradées en France pour le parti socialiste et les élections législatives l’ont prouvé. Les choses semblent aussi se dégrader pour Macky, moins à cause de lui qu’à cause de sa famille et de sa belle famille. Parce que les causes de la déroute de Wade reposaient un peu sur la dévolution monarchique qu’on a soupçonnée à un certain moment. Aujourd’hui on est dans un système clanique; et on parle même d’une dynastie Faye-Sall au Sénégal. Or Macky Sall était perçu comme un candidat plus sérieux, plus réfléchi, victime certes d’une certaine injustice mais cette injustice – les injustices de la vie comme les injustices politiques – auraient dû l’amener à être beaucoup plus conscient de la nécessité de l’éthique et de l’esthétique dans la vie politique. Or, apparemment, il ne maîtrise ni sa famille ni sa belle-famille ; et tous se sont mis en scène. Là où Wade avait un seul Karim, aujourd’hui, lui, il a toute la famille et la belle-famille. Et c’est un boulet qu’il traine. Plus maintenant certaines amitiés douteuses comme des transhumants, surtout les dernières transhumances. On a l’impression qu’il recycle ce que Wade a produit; et les mêmes causes qui avaient conduit à la déroute de Wade se retrouvent aujourd’hui avec Macky Sall.
Etes-vous optimiste en ce qui concerne la promesse du président de faire tenir les élections en juin ?
L’Assemblée a révisé le code électoral. Nous sommes même en porte-à faux avec les délais juridiques de la campagne et des transformations du code ou de la constitution comme avec la Cedeao. La suite ce serait de dire que les délais sont raccourcis comme les délais de campagne. Exceptionnellement on va s’accorder pour dire qu’on peut faire les élections au mois de juin mais en sachant que même les modalités des élections des conseillers municipaux et du maire posent problème ; là où la nouvelle loi dit qu’il faut désigner le maire, la loi fondamentale dit que le maire est élu. Donc, il y a certaines difficultés qui font même craindre un report des élections prévue pour le 29 juin malgré les assurances du gouvernement.
Le compagnonnage de certains partis est en train de mal se passer comme à l’Afp et au Ps. Jusqu’où ça peut mener ?
La mise en commun des efforts qui ont conduit à l’élection de Macky Sall, ce qui est plus philosophique que réel, qui était le soutien de l’opposition au mieux placé pour dégager Wade ne doit pas occulter la force de la coalition. Il est évident que les grands partis traditionnels ont une implantation territoriale que l’Apr n’a pas. Par exemple à Dakar sur les 650 conseilleurs municipaux, l’Apr n’en a aucun. On ne peut pas demander à ces conseillers-là de se mettre de côté et de faire la place à un candidat de l’Apr. Ça ne tient pas la route. De la même manière, sur l’ensemble du territoire, les forces en présence n’ont pas la même puissance. Et comme le dit Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du Ps, là où le Ps s’estime très fort, il est logique qu’il aille seul. Dans d’autres contrées où sa présence peut renforcer un candidat de l’opposition, on va mutualiser les efforts. Mais, si parce que l’Apr est au pouvoir, il lui faut tout prendre, ça va poser problème au niveau de ses alliés. L’argent n’est pas un élément convainquant. Abdou Diouf en avait, il est parti ; Abdoulaye Wade en avait, il savait le distribuer et il est parti. Donc l’argent n’est pas un élément déterminent, parce qu’on a le pouvoir aujourd’hui, on a l’argent comme on a vu un Adama Faye distribuer 300 millions au niveau de Grand Yoff pour dire qu’on va gagner et on doit gagner. Les sociétés dessinent elles-mêmes leurs candidats. Les sociétés modèlent leurs candidats, et ce sont elles qui les choisissent en dehors de toute autre considération. Ni de pouvoir ni de naissance.
Service politique xalima